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qui leur sont étrangères à des degrés différents. Avant 1914, tout notre corps enseignant combattait la « double culture » et son raisonnement était toujours le même : « Nous avons bien assez de peine à donner aux jeunes Alsaciens l’usage à peu près correct du bon allemand, pour ne pas les dérouter encore davantage par l’étude, même sommaire, du français. »

Il importe d’ailleurs de reconnaître que M. Charléty, recteur de l’Université de Strasbourg, bien plus libéral que ne le furent jamais les autorités scolaires allemandes, a décidé qu’au début de la quatrième année de scolarité, quand l’enfant lira et écrira couramment le français, il abordera l’étude littéraire de la langue allemande, même dans les écoles primaires, l’étude du français gardant de toute évidence, dans l’enseignement, sa place prépondérante.

J’ai bien écrit plus haut : « deux langues qui sont étrangères » aux élèves alsaciens. Il y aurait de la folie à vouloir prétendre que le dialecte alsacien n’est pas étroitement apparenté au haut allemand. Cependant, dans la structure et la prononciation des mots, comme dans la syntaxe, il s’en écarte d’une manière appréciable. Il ne fut jamais une langue écrite. Il ne pouvait pas l’être, car il varie de canton à canton, voire de commune à commune. Prenons quelques exemples. En allemand, on dit herauf, herah, daneben (en haut, en bas, à côté). Cela devient à Colmar nûff, nâ, dernâwe, à Mulhouse, ôffe, dwa, âne. Le Bub (garçonnet) allemand se transforme à Strasbourg en Beu, dans le Haut-Rhin en Bûa. Kerich (église) du reste du pays se prononce dans le Sundgau Chelche (avec ch fortement guttural). Le Haut-Rhinois comprend à peine le Paezer, l’habitant des environs de Wissembourg et de Bitsch. Je signalerai encore une particularité très curieuse. Jusqu’en 1914, les Alsaciens avaient continué, malgré la complication que cette habitude introduisait dans les relations commerciales, à compter en francs et en sous. Chose singulière et qui prouve combien les coutumes locales étaient tenaces, le franc était resté la « livre » d’autrefois. Dans les ventes publiques, le notaire touchait la « superlivre » (le décime).

Ce qui ne saurait être nié, c’est que, pour l’Allemand du Nord, le dialecte alsacien est incompréhensible. Lui-même ne pourrait se faire entendre par un Alsacien qui n’aurait pas fréquenté l’école allemande.