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art commun à tous de circonscrire le sujet, une façon de le définir pour un objet spécial, qui est la décoration d’un intérieur bourgeois. Dans ces limites, il n’y a pas d’école qui ait mieux su ce qu’elle avait à dire, et où tout le monde ait mieux su le dire comme il voulait. Aucune n’a mieux adapté les moyens de l’art de peindre à des conditions données, en se faisant, à défaut d’idéal supérieur, un nouvel idéal de la culture de ces moyens. Ainsi, dans une peinture qui ne sort guère du paysage et du portrait, et qui se passe si bien de toute fantaisie, l’expression elle-même devient l’objet de l’art ; c’est là que se dépense tout ce qu’il y a de goût et d’imagination dans l’école ; et ces diligents copistes de la réalité sont peut-être les plus parfaits artistes qu’on ait vus.

Jamais on ne s’était proposé rien de plus original. Fromentin, dans des pages célèbres, l’a dit de manière à dispenser d’y revenir après lui. Ce qu’il faut ajouter, c’est que ces ouvriers accomplis, si peu occupés de l’antique et des conventions classiques, si résolument indépendants, n’ignoraient rien de ce qu’on savait de leur temps sur Rome et sur la Grèce, et ne faisaient souvent que transposer à leur usage les enseignements de l’Italie. Les preuves abondent, sans sortir de l’exposition : la Jeune fille de Vermeer est un souvenir évident de la fameuse tête du Guide, déjà célèbre au XVIIe siècle sous le nom de Béatrice Cenci : elle en porte jusqu’au turban. Mais personne, on le sait, n’a pratiqué plus effrontément le pillage des maîtres que Rembrandt lui-même. Voyez le sublime cadavre de la Leçon d’anatomie : ce morceau, le plus saisissant de toute l’exposition, n’est autre que le Christ de Mantegna, tel qu’on le voit à Milan, et que Rembrandt le connaissait depuis l’enfance par une estampe. Voyez encore le bizarre tableau de Rotterdam, dit la Concorde du Pays. Dans cette allégorie, qui symbolise la victoire des Sept Provinces sur le lion espagnol, le cavalier tragique qui galope au second plan est un souvenir manifeste du grand Charles-Quint du Prado, tandis que le combat qui s’ébauche dans la plaine, les carrés qu’on enfonce, les charges, les assauts, toute cette confusion de rage évoquée en quelques traits de bistre comme dans les lèpres d’un vieux mur, rappellent les héroïques grisailles de Rubens dans sa Mort de Sennachérib ou sa Bataille de Tunis.

On voit que ces novateurs étaient parfaitement informés de ce qui se passait dans le monde et ne se faisaient pas faute d’en tirer leur profit. Mais ce qu’il faudrait dire encore, c’est que cette unité de langage, cette sûreté d’intentions, cette cohésion de l’école, en un