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une merveille ignorée du musée de Rotterdam et un joyau digne de Vermeer, le seul tableau à ligures que l’on connaisse de ce grand peintre, spécialiste des intérieurs d’églises, mais à qui il arrive de camper une silhouette avec autant d’esprit que Guardi (par exemple dans son délicieux panneau de Lille). Et voici quatre tableaux d’Arët van Gelder, — encore un nom qui manque au Louvre, — le bizarre et charmant artiste, le dernier et le plus fidèle des disciples de Rembrandt, celui qui prolongea près d’un demi-siècle après son maître l’esprit de la Fiancée juive du musée van der Hoop et de la Famille de Brunswick : le vague orientalisme du peintre des Paraboles, les procédés de son éclairage, ses pompes ténébreuses pleines de lueurs incertaines et jusqu’à un reflet de son sentiment qui nous touche, à travers des colorations acides, dans ce beau tableau des Anges chez Abraham qu’on appelait le « Rembrandt du Pecq. » Enfin, dans le même ordre des choses rarissimes et des gloires inédites, voici un petit choix d’eaux-fortes d’Hercules Seghers, le mystérieux graveur dont les œuvres n’existent complètes qu’à Amsterdam et par fragments dans un petit nombre de cabinets d’Europe : visions étonnantes, alpestres, gravures forcenées d’analyse et de dessin, où les montagnes et les moraines se décomposent pierre à pierre con)me les ruines de Rome sous le burin d’un Piranèse, compositions rugueuses, colorées de tons étranges, pareilles à des rognons de quartz ou d’améthyste, — une espèce de fou passionné pour la nature sauvage et les grandes tempêtes de l’écorce terrestre, un être tout à fait à part dans ce pays si calme, un ami, de Rembrandt qui recherchait ses ouvrages et qui s’en inspirait (voir le beau paysage prêté par le duc d’Albe) : bref, un extravagant qui, dit-on, imprimait ses cuivres sur des chiffons (peut-être pour donner l’illusion de vraies peintures), sacrifiant à cet effet le linge du ménage, et qui à quarante ans se rompit le cou dans son escalier, un jour qu’il avait bu.


Mais ce qui est le plus neuf dans l’exposition, ce qui témoigne le plus du changement de nos goûts, c’est la place accordée à un groupe de peintres naguère tout à fait inconnus. Cette école de Delft, presque entièrement oubliée, et reconstituée pièce à pièce avec une patience exemplaire par le savant M. Bredius, est une des plus précieuses conquêtes de l’érudition hollandaise. Jadis, on n’en connaissait guère que le seul Pieter de Hoogh, parce que cet artiste a laissé un assez grand nombre d’ouvrages, et qu’il a travaillé dix