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a exprimé la pensée profonde de la Réforme. « Rousseau déiste, en guerre avec les pasteurs, incrédule à la révélation, est tout simplement un protestant libéral, » a très bien dit M. Lanson. Avec une vivacité, une netteté et une éloquence qui redoublaient l’autorité de sa parole, il a brusquement déchiré les derniers voiles où s’enveloppaient les timidités et les inconséquences des disciples « orthodoxes » de Calvin. Celui-ci, en revendiquant pour lui-même le droit de libre examen, avait donné un exemple et posé un principe qui devaient tôt ou tard se retourner contre les dogmes dans lesquels il avait voulu cristalliser la pensée chrétienne. Déjà Bossuet avait admirablement montré, au grand scandale des protestants de son temps, que la « variation » était l’essence de la Réforme, et que, de proche en proche, le protestantisme devait évoluer vers une sorte de libre pensée religieuse. Longtemps les protestants s’étaient refusés à l’évidence, et, tout en évoluant, en « variant, » en s’écartant de plus en plus des doctrines calvinistes ou luthériennes, ils s’efforçaient, tant bien que mal, de maintenir une certaine unité doctrinale toute théorique, sans laquelle, ils le sentaient bien, il n’y aurait plus d’Eglises protestantes. Enfant terrible de la Réforme, Rousseau est venu renverser ce fragile échafaudage. Notamment dans la seconde Lettre de la montagne, il a revendiqué âprement, conformément au véritable esprit du protestantisme, le droit pour toute conscience de « n’admettre d’autre interprète du sens de la Bible que soi, » et le devoir « de tolérer toutes les interprétations de la Bible, hors une, savoir celle qui ôte la liberté des interprétations. » C’était mettre en un puissant relief le principe intérieur, la loi d’évolution, la raison d’être historique de la Réforme ; c’était la pousser sur la pente où elle glissait depuis deux siècles ; c’était l’aider à prendre conscience d’elle-même et l’encourager à se faire un titre de gloire de cette mobilité et de cette plasticité qu’on lui reprochait et qu’elle se reprochait à elle-même comme une faiblesse. « Rousseau achève ainsi, a dit excellemment Maurice Masson, ce qu’avait commencé Bossuet : ces deux intelligences ennemies ont collaboré, sans le vouloir, à une même œuvre d’émancipation. »

Et c’est pourquoi l’œuvre religieuse de Rousseau est une date essentielle dans l’histoire générale du protestantisme. Quand il serait prouvé, — la question vaudrait la peine d’être