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définit heureusement l’une d’elles, — et elles sont alors légion, — la Profession de foi a été littéralement une révélation, et Rousseau est le dernier prophète d’Israël. Il est venu restaurer le sentiment religieux dans ses droits éternels, et sa prédication paraît d’autant moins suspecte de parti pris théologique et d’insincérité, qu’elle a un accent plus laïque et qu’elle est dégagée de toute ferme confessionnelle. Désormais, la négation pure, la sécheresse rationaliste, et ce que M. Bourget a finement appelé l’ « idéologie matérialiste, » ne semblent plus, — et au contraire, — le signe de la supériorité d’esprit. Une âme bien née et « sensible » devra être ouverte aux préoccupations religieuses : Jean-Jacques a remis en honneur « la catégorie de l’idéal. »

Idéal un peu vague assurément, et dont l’imprécision même favorisait et légitimait les attaques de tous les dogmatiques. On trouvera dans le livre de Maurice Masson le détail des persécutions convergentes que la publication de l’Émile valut à son auteur. Voltaire et les Encyclopédistes, sentant bien la vigueur du coup qui leur était porté et voyant l’opinion leur échapper, — en moins d’un an, il y eut huit éditions ou contrefaçons de l’Emile, — firent payer cher au « renégat » l’audace qu’il avait eue de déserter la bonne cause. Le Parlement, de son côté, condamnait l’ouvrage à être brûlé de la main du bourreau et décrétait Rousseau de prise de corps : on le laissait échapper, il est vrai, mais les anathèmes, les réfutations ecclésiastiques pleuvaient sur lui dru comme grêle. Genève ne se montrait pour lui pas plus tendre que Paris, et il dut fuir Motiers, où il s’était réfugié, sous les injures et les pierres d’une population calviniste. Orthodoxes et incroyants, tous ceux dont il avait discuté les idées se retournaient contre lui.

Mais si vive que soit cette opposition à la doctrine rousseauiste, elle n’est pourtant qu’une apparence, ou, si l’on préfère, l’envers d’une réalité bien différente. Il n’est pas jusqu’à ses ennemis personnels, les « philosophes, » qui n’aient été, plus qu’ils ne le pensent peut-être, entamés par Jean-Jacques. Voltaire lui-même est l’auteur d’un Catéchisme du curé qui n’est pas sans présenter avec la Profession de foi de curieuses analogies [1]. Et il y a, dans les Salons de Diderot, une page célèbre

  1. M. Lanson observe avec raison qu’après 1760, la pensée de Voltaire incline de plus en plus à passer du déisme au panthéisme » et qu’ « il en résulte des accents plus profonds et plus religieux. »