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ils l’ont conçue et aimée comme étant une pensée essentiellement positive, et, peu s’en faut, comme une nouvelle révélation religieuse. On était las de cette ironie perpétuelle qui, depuis un demi-siècle, avait, dans tous les domaines, fait sentir son influence corrosive, dégradant la religion, desséchant l’art, tarissant la poésie et l’éloquence, appauvrissant la philosophie, ruinant les fondements de l’autorité morale et sociale. On avait usé et abusé de l’esprit ; on aspirait à quelque chose d’autre et de plus, aux intimes satisfactions du cœur. A celui qui viendrait affirmer avec émotion et avec éloquence qu’ « il y a plus de choses dans le monde que notre philosophie ne nous en révèle, » que l’on peut être, ou se dire, religieux, et même chrétien, sans adhérer aux « dogmes cruels, » et qui, renouvelant par son accent les raisons de croire à certaines vérités « consolantes, » saurait rendre un généreux hommage aux nobles et grandes idées qui ont été le viatique spirituel de tant de générations successives, à celui-là le siècle appartiendrait sans réserve. Rousseau fut cet homme-là ; et, — toute son œuvre et toute sa vie finissante en témoignent, — en interprétant ainsi sa pensée, son siècle ne l’a point dénaturée.

De l’étonnante action qu’ont exercée sur les âmes contemporaines les chaleureuses prédications de Jean-Jacques, les preuves surabondent. Ce sont d’abord les innombrables lettres qu’il a reçues et qui, pour la plupart, existent encore dans les papiers de Neuchâtel. Le premier peut-être des romanciers modernes, Rousseau a été traité par ses lecteurs comme un véritable directeur de conscience, et je crois bien que M. Bourget lui-même n’a pas recueilli plus de confidences, d’appels émus ou d’aveux angoissés que l’auteur de l’Héloïse et de l’Émile. Maurice Masson se proposait d’en composer tout un volume qu’il eût intitulé les Confessés de Jean-Jacques. Il a du moins rassemblé quelques-uns de leurs témoignages. « O toi, par qui je commence à vivre, écrit un certain Jullien, reçois les prémisses de ma nouvelle existence. » — « Je regarderai désormais, écrit un officier, votre traité d’éducation comme ma Bible ;... je peux vous dire ce que disait le jeune homme au Vicaire : Vous serez mon dernier apôtre. » Et voici en quels termes le pasteur Roustan exprime son enthousiasme :


Je viens de recevoir une lettre d’Usteri, baigné de joie d’avoir