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effet que la Profession de foi soit avant tout dirigée contre les « philosophes, » et qu’elle soit, à sa manière, une apologie, non pas assurément du catholicisme, mais du christianisme.

Ceux que l’on appelait alors les « philosophes » ne professaient pas, à proprement parler, une « philosophie » uniforme. Du déisme de Voltaire au simple matérialisme d’Helvétius et de d’Holbach, en passant par le vague panthéisme de Diderot, il y a d’indéniables nuances. Mais leur philosophie à tous avait ce double caractère d’être sèchement rationaliste et violemment antichrétienne. A ce double point de vue, la philosophie de Jean-Jacques s’oppose profondément à la leur. Il est venu protester contre les abus de la raison raisonnante, et s’il y a recours, à ses heures, c’est pour l’incliner devant les révélations du cœur. Il dirait volontiers avec Pascal que « tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. » Il dit tout au moins que « la règle de nous livrer au sentiment plus qu’à la raison est confirmée par la raison même. » La vérité ne se démontre pas : « elle se voit, ou plutôt elle se sent. » La raison est impuissante à rien créer de solide ; elle est par excellence un principe de dissolution et d’anarchie ; les vains systèmes qu’elle enfante sont détruits par d’autres systèmes. Les seules vérités inattaquables, celles qui sont à la base de la vie et de la société humaines, sont des vérités de sentiment. Adressons-nous donc au cœur ; écoutons sa voix, et enregistrons ses arrêts. C’est le cœur qui nous révélera notre conscience, Dieu, la Providence, l’âme immortelle. Et qu’on ne dise pas que ces notions. Voltaire les avait déjà conçues et admises : simples formules algébriques chez Voltaire, produit abstrait et théorique d’une simple opération de l’esprit, ce sont, chez Rousseau, des passions vivantes qui, jaillies des profondeurs de l’âme, agissent sur la volonté. Emile Faguet a dit de Voltaire que « son idée de Dieu est telle que, sans interprétation abusive et sans chicane, elle ne suggère que l’athéisme ; » et le mot est d’une cruelle justesse. On ne saurait l’appliquer à Rousseau. Il n’a pas renouvelé, convenons-en, les raisons de croire à Dieu : mais ces raisons, il les a faites siennes ; il leur a prêté son verbe et son accent ; il y a mêlé un peu de son âme. Selon la formule si juste, et d’ailleurs célèbre, de Mme de Staël, « il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé. »

Et il ne s’est pas contenté d’affirmer, — je ne dis pas de