Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car les ironies ou les grossièretés voltairiennes ne sont point son fait, et il a, de son long passage à travers le catholicisme, conservé des habitudes d’esprit et des façons de sentir et de parler plus profondes qu’il ne le croit peut-être lui-même. D’abord, il est assez singulier que le « citoyen de Genève » ait choisi comme porte-parole non pas un pasteur, même libéral, mais un « vicaire, » un prêtre catholique, peu orthodoxe, à vrai dire, et qui fait un peu songer à cet abbé Dumont, dont Lamartine fera plus tard le héros de Jocelyn, mais qui n’en reste pas moins prêtre, et se félicite de l’être resté. D’autre part, et sans parler de certaines impressions religieuses ou chrétiennes qui, si elles ne lui sont pas venues du catholicisme, ont été au moins entretenues en lui par les pratiques catholiques, la manière respectueuse et émue dont il s’exprime sur la confession, sur le sacrifice de la messe [1], contraste trop fortement avec les propos de certains calvinistes ou de la plupart des « philosophes, » pour qu’on ne rapporte pas, chez Jean-Jacques, à ses vraies origines, cet heureux élargissement de l’intelligence. Et enfin, parmi tous les traits dirigés contre leurs doctrines qui devaient, dans la Profession, choquer profondément et irriter les encyclopédistes, il n’en est peut-être pas qui les ait plus violemment scandalisés que ces quelques lignes qui leur firent évidemment l’effet d’une « capucinade : »


Bayle, — avait écrit Jean-Jacques, — a très bien prouvé que le fanatisme est plus pernicieux que l’athéisme, et cela est incontestable ; mais ce qu’il n’a eu garde de dire et qui n’est pas moins vrai, c’est que le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte qui élève le cœur de l’homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus ; au lieu que l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique attache à la vie, efféminé, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société, car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé.


En marge de cette page, Voltaire écrivait avec indignation

  1. Emile Faguet, dans son livre sur Rousseau penseur (p. 148), observe justement que, Jean-Jacques, contrairement à la tradition protestante, admet parfaitement l’idée catholique du Purgatoire.