Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car les pasteurs contemporains de Rousseau ont beau s’en défendre, avec une indéniable sincérité qui ne prouve que leur inconscience. les faits et les textes sont là, plus éloquents que les arguments les plus ingénieux : le calvinisme a évolué depuis Calvin, et il a évolué dans le sens du déisme. Le travail de simplification et d’ « épuration » qu’avait commencé Calvin sur le vieux dogme catholique, — et qu’il aurait bien voulu arrêter, — s’est poursuivi après lui ; les principes qu’il avait posés, les exemples qu’il avait donnés ont fructifié après sa mort. Peu à peu, sous l’action dissolvante d’une critique sans frein, l’idée chrétienne est allée se vidant de son contenu positif. En prêchant la religion naturelle, — deux mots qui hurlent d’être accouplés l’un à l’autre, — Jean-Jacques n’a fait qu’exprimer le dernier état de la pensée protestante.

Mais l’auteur de l’Emile, avec cette facilité d’adaptation, et, si j’ose ainsi dire, d’imprégnation qui le caractérise, s’est aussi souvenu d’avoir été, plusieurs années durant, le commensal et le compagnon d’armes des encyclopédistes. Ceux-ci avaient voué à « l’infâme » une haine mortelle, et, dans leurs conversations comme dans leurs écrits secrets, ils ne tarissaient pas d’objections contre les religions révélées. Nombre de ces objections, — les plus sérieuses ou les plus spécieuses, — avaient frappé Rousseau, — on a retrouvé dans ses papiers plusieurs copies de libelles antichrétiens qui ne devaient paraître imprimés que plus tard, — et il les a reprises à son compte quand il crut devoir faire en public son examen de conscience. De là, dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, toute une critique très âpre de la révélation chrétienne, critique purement « philosophique » d’ailleurs, et qui écarte le côté proprement historique du problème, mais que tout le « parti » accueillit tout d’abord, avec une joie sans mélange. Diderot écrivait à Mlle Volland que « ce petit événement, de rien en lui-même, aurait fait abjurer en un jour la religion chrétienne à vingt mille âmes. » Et Voltaire, tout heureux d’avoir trouvé pareil allié, découpait sans façon dans l’Émile « cette fameuse philippique contre le christianisme, » ainsi que l’appelait Formey, et la réimprimait dans son Recueil nécessaire : le vicaire savoyard se trouvait là en compagnie du curé Jean Meslier, de Dumarsais, et de Voltaire lui-même. On peut croire que si Jean-Jacques avait été consulté, il eût avec empressement décliné pareil honneur.