justes, et elles rendent en partie compte de ce qu’il y a d’inconséquent et de finalement timoré dans toutes les thèses soutenues par Jean-Jacques. Mais je crois que cette sorte de rythme de sa pensée a aussi des origines impersonnelles, et qu’à cet égard, comme à beaucoup d’autres, il était l’héritier d’une longue tradition, qui remonte jusqu’à Calvin en personne. Voici, très brièvement, ce que j’entends par là.
Sur quel fondement Calvin a-t-il fait reposer tout l’édifice de sa réforme ? Sur l’autorité de la conscience individuelle. Suivi jusqu’à ses dernières conséquences, ce principe revient à consacrer et à légitimer l’anarchisme religieux. Comme l’a dit Boileau, dans un vers célèbre qu’on attribue généralement à Voltaire, mais qui est bien de Boileau,
Tout protestant fut pape, une Bible à la main.
Or, en fait, c’est ce que Calvin n’a jamais admis. Révolté contre
le « papisme, » au nom de sa conscience personnelle, il n’a
point permis aux autres consciences de se dresser contre la
sienne ; il s’est fait pape, lui tout seul, une Bible, — et saint
Paul, — à la main. Parti en guerre pour détruire le catholicisme, il a reconstitué, — sur ses propres plans et à son profit, il est vrai, — un catholicisme plus rigide et moins hospitalier
que l’ancien. Il avait commencé comme un anarchiste : il finit comme un autocrate.
Cette contradiction intime qui existe au sein du protestantisme calviniste s’est transmise, de génération en génération, à tous les fils de Calvin ; elle a marqué de son empreinte leur pensée à tous. A son insu sans doute, Rousseau a hérité de cette disposition intellectuelle, et, son tempérament personnel ne l’invitant pas à réagir, mais, bien au contraire, l’inclinant aux solutions paresseuses, il n’est pas très surprenant qu’il se soit fait de ses inconséquences dialectiques une habitude invétérée.
Cette survivance de son hérédité calviniste est d’autant plus curieuse à noter qu’il est très loin, comme l’on sait, d’avoir vécu confiné à Genève et dans le milieu genevois. Les plus importantes années de Sa vie, celles de sa formation intellectuelle, se sont passées dans un milieu catholique, et, converti lui-même au catholicisme, il en avait adopté les idées et les pratiques, de telle sorte que sa « mentalité » originelle aurait dû, semble-t-il, s’en trouver modifiée pour toujours. C’est l’une des