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son âme à lui. Je le priais tout bas de me secourir, de m’aider non seulement à comprendre son génie, mais à le révéler. Le petit salon ne me paraissait plus si petit, puisque l’esprit de la musique pouvait, tout entier, s’y répandre. Et puis, autour de moi, les visages ne trahissaient qu’une attention sympathique, une bienveillance heureuse. Je m’en sentais enveloppé comme le chef-d’œuvre, avec le chef-d’œuvre que j’essayais de traduire ; entre mes parents, au milieu d’amis, je respirais une atmosphère de tendresse. Les maîtres eux-mêmes, un Mozart, un Beethoven, je les aimais de toutes les forces de mon jeune cœur. J’étais heureux de les servir, et que ce fût au foyer paternel, où, dès mon enfance, on m’avait enseigné leur service. Par leur invisible présence, notre maison me semblait honorée, embellie. Tout, en me demeurant familier, m’y devenait auguste, et l’idéal m’y apparaissait à la fois supérieur et prochain.

Je venais d’achever ma dix-septième année. Mes classes finies, mon père avait décidé que je ferais mon droit. Il était reconnu déjà que ce n’est pas faire grand’chose. Personnellement, j’estimais que ce n’était rien, ou du moins rien qui me charmât. En guise d’étude supplémentaire, et pour moi consolatrice, je ne voyais, je ne souhaitais que la musique. Mes parents souscrivaient à mon désir. Paladilhe assura qu’il ne me serait pas très difficile d’entrer au Conservatoire. Il répondait même du succès. Mes parents voulurent bien le croire. Je ne leur en saurai jamais assez de gré. Le mot seul de Conservatoire ne laissa pas d’effaroucher d’abord quelques honnêtes personnes de ma famille. C’est même à compter de ce jour qu’un oncle de province me baptisa « le jeune histrion. » Je n’en travaillai pas moins, pendant les vacances, l’examen d’admission. Au mois d’octobre 1875, j’étais reçu dans la classe de piano de Marmontel.


CAMILLE BELLAIGUE.