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Ils les gardent parce qu’ils leur font honneur au C. E. P. Ils les gardent parce qu’ils s’attachent à eux, et qu’en eux ils ont la joie de sentir leur enseignement fructifier. C’est humain. Et ils ne seraient pas de bons maîtres s’ils n’avaient pas cette forme de l’instinct de conservation. Il faut cependant employer tous les moyens de les convaincre du tort qu’ainsi ils peuvent leur faire, et même faire au pays. S’ils découvrent dans leurs classes une valeur, il faut, quelque dur que cela soit, qu’ils aient le courage de s’en séparer et de l’orienter vers d’autres destinées.

Donc, pour que le raccord puisse se faire entre l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, il faut un double sacrifice. Au sacrifice à la base de l’enseignement secondaire doit répondre un sacrifice au sommet de l’enseignement primaire. Nous avons parlé du sacrifice déjà réclamé des classes élémentaires. Peut-être d’autres sacrifices seront nécessaires. Mais l’enseignement primaire doit en avoir sa part. Ainsi on aura collaboré, par une double bonne volonté, à l’école unique, ce mot étant d’ailleurs interprété avec les restrictions que nous lui avons apportées, et ne signifiant, pour longtemps encore, qu’une unité de programmes. Pour que cette école unique ait des possibilités et aussi des raisons de vivre, il faut qu’elle limite elle-même sa durée et ses ambitions. Il faut qu’elle laisse le champ libre à l’édifice qui doit reposer sur elle. Car c’est de cet édifice espéré qu’aux yeux de ses plus fervents apôtres elle tire son prix. On combat pour autre chose en combattant pour elle. Autrement, on ne comprendrait pas cette ardeur de la dispute. Son objet véritable est, en effet, d’élargir le recrutement de l’enseignement secondaire, le recrutement de la jeune élite dont le pays a besoin. C’est cette idée qui a créé ou renouvelé dans la pensée contemporaine une sorte de mystique de l’école unique, et qui donne un sens élevé et social aux humbles questions que nous venons de discuter.

Le problème véritable est donc loin d’être résolu. L’école unique aura conduit toute la jeunesse française à un même palier. Qui continuera l’ascension ? Comment, dans la masse qui se présente, recruter l’élite ?


RAYMOND THAMIN.