Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A l’origine, les « compagnons » eussent protesté contre cette limitation de leur effort. Il s’agissait pour eux d’une réforme totale. « Nous ne ferons pas les choses à moitié. » Nous les connaissons, « les petits projets, les petites réformes. » Ils citent un mot de Wells : « Le monde est devenu plastique. » Ils veulent « refaire la maison, » et tout simplement « créer une France nouvelle. » De grands mots peut-être, mais qui ont un pouvoir de séduction. Il faut donc serrer de près cette idée d’une réforme totale en matière d’éducation. En toute matière, pareille entreprise est périlleuse. De plus, elle n’est jamais qu’incomplètement sincère. L’idée qu’on s’en fait et qu’on propage joue le rôle de « mythe. » Plus simplement, elle participe de ce que le langage contemporain appelle un « bluff, » fùt-il involontaire. Les novateurs les plus hardis empruntent, sans le savoir, beaucoup de leurs inventions. Une réforme totale n’est toujours qu’une réforme partielle. La réforme totale des « compagnons » subit le sort commun, et demeure même à certains égards très conservatrice, puisqu’elle reste fidèle aux humanités malgré tout. Mais, le voulût-on, on ne bouleverse pas par un décret, ou un mouvement d’opinion, l’éducation d’un pays. On fait plus facilement une révolution politique qu’une révolution pédagogique. Cela tient tout simplement à ce que les pères et les maîtres insèrent, par leur fait, le passé dans l’avenir qu’ils préparent. On transforme un matériel économique ; mais des professeurs habitués à enseigner certaines choses et d’une certaine façon, pour lesquels le devoir s’est longtemps confondu avec les habitudes mises en eux par des leçons et des exemples respectés, éprouvent une sorte d’impossibilité morale à s’adapter, au milieu ou à la fin d’une carrière, à des méthodes nouvelles, et il y aurait injustice à l’exiger d’eux. Sans doute, il faut entretenir en eux une flamme toujours allumée, et une certaine faculté de renouvellement qui permettra à leur enseignement de suivre, quoique à distance, les progrès de la science. C’est un maître de qualité inférieure celui dont le siège est fait une fois pour toutes. Il n’en est pas moins vrai que l’instabilité des méthodes déroute les élèves eux-mêmes, si la crise les surprend en cours d’études. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à tout progrès, mais il faut se résigner aux progrès lents et mûrement préparés. Ceux qui, dans ces dernières années, ont suivi d’un peu près l’histoire de l’enseignement des langues