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― Vous me rappelez un proverbe annamite, qu’on m’a cité autrefois à Saïgon : Partout où il y a des Annamites, Dieu a fait pousser le bambou. Les petits coolies jaunes ont parfaitement saisi le rapport de cause finale qui existe entre la tige du bambou et leur dos... Pour ne pas finir notre entretien sur une plaisanterie, permettez-moi de vous dire que, au fond de moi-même, je souhaite vivement de voir la Russie s’adapter peu à peu aux conditions du gouvernement représentatif, dans la mesure très large où cette forme de gouvernement me semble pouvoir se concilier avec le caractère du peuple russe. Mais, comme ambassadeur d’une Puissance alliée, je ne souhaite pas moins vivement que tout essai de réforme soit ajourné à la signature de la paix ; car je reconnais avec vous que le tsarisme est, à l’heure actuelle, la plus haute expression nationale de la Russie et sa plus grande force.



Dimanche, 14 novembre.

D’après tout ce qui me revient de Moscou et de la province, le désastre des Serbes émeut douloureusement l’âme russe, toujours si ouverte aux sentiments de compassion et de fraternité.

A ce propos, Sazonow me raconte qu’il a causé hier avec le confesseur de l’Empereur, le P. Alexandre Wassiliew :

— C’est un saint, me dit-il, un cœur d’or, une conscience éminemment haute et pure. Il vit dans l’ombre, dans la prière, dans la retraite. Je le connais depuis mon enfance... Hier, donc, je l’ai rencontré devant l’église du Sauveur et nous avons fait quelques pas ensemble. Il m’a longuement interrogé sur la Serbie, me demandant si nous n’avions rien négligé pour la sauver, si l’on pouvait garder encore quelque espoir d’arrêter l’invasion, s’il n’y aurait pas moyen d’envoyer de nouvelles troupes à Salonique, etc. Comme je m’étonnais un peu de son insistance, il m’a dit : — « Je n’ai aucun scrupule de vous confier que les malheurs de la Serbie sont une cruelle angoisse, presque un remords, pour notre bien-aimé Tsar. »



Mardi, 16 novembre.

Depuis une quinzaine de jours, l’armée russe de Courlande poursuit avec quelque succès une offensive assez âpre dans les