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d’État : il est, sans nul doute, le représentant le plus éminent du libéralisme monarchique. Il tombe par la volonté de Raspoutine, qui l’accuse de pactiser avec les révolutionnaires. Or, je ne crois pas que l’idéal constitutionnel de Krivochéïne dépasse de beaucoup la Charte française de 1814. Et je ne répondrais pas moins de sa piété religieuse que de son loyalisme dynastique.

Le gouvernement présidé par Gorémykine ne compte donc plus que deux ministres à tendances libérales : Sazonow et le général Polivanow.



Vendredi, 12 novembre.

Sous la double pression des Austro-Allemands au Nord et des Bulgares à l’Est, les malheureux Serbes sont écrasés, malgré une résistance héroïque.

Le 7 novembre, la ville de Nisch, l’antique métropole serbe, la patrie de Constantin-le-Grand, est tombée aux mains des Bulgares. Entre Kraljevo et Krujevatz, les Austro-Allemands ont franchi la Morawa occidentale, faisant sur tout leur parcours un énorme butin.

Les avant-gardes franco-anglaises ont pris hier le contact avec les Bulgares, dans la vallée du Vardar, près de Karasu. Mais l’intervention des Alliés en Macédoine est trop tardive. D’ici peu, il n’y aura plus de Serbie !



Samedi, 13 novembre.

Au club, le vieux prince V…, ultra-réactionnaire et toujours d’humeur bougonne, se laisse aller à me parler de la politique intérieure ; il applaudit naturellement au renvoi de Krivochéine : il croit que la Russie ne peut trouver son salut que dans une sévère application de la doctrine autocratique. Je me tiens sur la réserve.

— Évidemment, poursuit-il, vous devez me juger bien arriéré et je devine que M. Krivochéine avait toutes vos sympathies. Mais les libéraux, qui affectent d’être monarchistes, qui se décernent à tout propos des brevets de loyalisme, sont pour moi ce qu’il y a de plus dangereux. Au moins, avec les vrais révolutionnaires, on sait à qui l’on a affaire ; on voit où l’on