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que l’abbé Vignali désire lui parler. C’est Montholon qui lui a fait dire de venir. L’abbé est en habit bourgeois ; il porte, sous son habit, quelque chose qu’il cherche à dissimuler. Marchand l’introduit, le laisse seul avec l’Empereur et se tient à la porte pour en interdire l’entrée. Le grand-maréchal arrive, s’informe de ce que fait l’Empereur, et se retire, disant qu’on le prévienne, quand Vignali sortira. En sortant, une demi-heure après, Vignali dit à Marchand : « L’Empereur vient d’être administré, l’état de son estomac ne permet pas un autre sacrement. »

Dès le 20 avril, donnant ses ordres à Vignali pour la chambre ardente qu’il aurait à desservir durant son agonie, il lui a dit : « Je suis né dans la religion catholique, je veux remplir les devoirs qu’elle impose, et recevoir les secours qu’elle administre. » Apercevant à ce moment un sourire sur les lèvres d’Antommarchi, debout au pied de son lit, il lui a dit : « Vos sottises me fatiguent, monsieur ; je puis bien pardonner votre légèreté et votre manque de savoir-vivre, mais un manque de cœur, jamais. »

Il a ensuite entretenu Vignali de ce qu’il devra faire après sa mort. Puis il lui a parlé de son pays, de la maison qu’il se fera construire à Ponte-Nuovo di Rostino, de la vie heureuse qu’il y mènera. L’abbé, se mettant à genoux, a pris la main de l’Empereur qui pendait hors du lit, et l’a baisée pieusement. A présent il vient seconder l’Empereur dans cet acte, l’un des plus importants qu’il puisse accomplir : l’affirmation volontaire et décidée de sa foi traditionnelle.

Ces cérémonies l’ont épuisé ; lorsque Marchand entre dans le salon, il trouve l’Empereur les yeux fermés, le bras étendu sur le bord du lit, la main pendante. Le bon serviteur s’approche, et baise cette main, et comme l’Empereur, sans parler, a rouvert les yeux, Marchand appelle Saint-Denis qui, lui aussi, baise la main du Maître.

On n’a point dit à l’Empereur que les consultants se sont accordés pour prescrire une ingestion de calomel : on connaissait sa répugnance à tous les remèdes, mais on comptait sur Marchand. Marchand a lutté, ne s’est rendu qu’à cette observation du grand-maréchal : « C’est ici une dernière ressource tentée. L’Empereur est perdu. Il ne faut pas que nous ayons à nous reprocher de ne pas avoir fait tout ce qu’humainement on peut faire pour le sauver. » Délayant alors la poudre dans de