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et ne boit plus que de l’eau de réglisse anisée, d’une petite bouteille qu’il garde près de lui. Antommarchi insiste ; même il essaie de persuader Marchand d’émétiser les boissons qu’il présenterait. L’Empereur, sur une indiscrétion, en a connaissance ; il entre dans une grande colère contre Marchand, demande Antommarchi, qui est absent et qui, lorsqu’il revient, s’excuse sur ce que l’Empereur, en refusant les remèdes, met sa vie en danger. « Eh bien ! monsieur, lui répond Napoléon, vous dois-je des comptes ? Croyez-vous que la mort ne soit pas pour moi un bienfait du ciel ? Je ne la crains pas : je ne ferai rien pour en hâter le moment, mais je ne tirerais pas la paille pour vivre. »


Depuis le 18, Marchand veille toutes les nuits, assisté de Noverraz et de Saint-Denis ; mais Noverraz, sous une attaque de foie, doit prendre le lit, et Marchand qui relève d’une dysenterie, peut craindre une rechute. La maladie peut être longue, et il faut organiser le service : Montholon et Bertrand se proposent. L’Empereur, lui-même, règle les heures de veille. Antommarchi ne s’est pas même offert.

L’antipathie légitime que l’Empereur a conçue contre cet homme, milite avec d’autres considérations pour le disposer à voir un médecin anglais proposé par Lowe ; ce n’est point que Lowe croie à la maladie : il est convaincu qu’elle est encore une simulation, et, presque jusqu’à la fin d’avril, il en paraîtra certain. Mais, d’après les règlements venus de Londres, que Lowe exécute scrupuleusement, l’officier d’ordonnance doit constater chaque jour la présence du prisonnier. Or, il ne l’a point vu depuis quinze jours, et le général Buonaparte pourrait bien s’être évadé. Le médecin constatera qu’il est présent. Si l’Empereur ne consentait pas, l’officier de garde forcerait la porte : on en reviendrait à ces scènes douloureuses et tragicomiques qui avaient marqué l’année 1819. Montholon négocie avec Lowe pour obtenir quelques jours de répit, et tout Longwood s’emploie pour obtenir l’agréement de l’Empereur.

Le 1er avril. Napoléon consent à recevoir le docteur Arnott, chirurgien du 20e régiment. Si peu qu’il tînt à la vie, il pouvait souhaiter que, par quelque palliatif, on allégeât ses souffrances, mais ce n’était point sans appréhension qu’il s’y décidait. « Votre médecin anglais, dit-il à Bertrand, ira rendre compte