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la demande eût couru. Il fallait qu’on trouvât des hommes de bonne volonté et qui fussent prêts à partir. A la vérité, on n’en trouva point un seul parmi les anciens courtisans, les anciens ministres, les anciens serviteurs de l’Empereur, mais ailleurs. Le prêtre eût été Mgr de Quélen, coadjuteur de Paris, et il fallut l’état de santé du cardinal de Talleyrand pour qu’il renonçât ; il eût été suppléé par l’abbé Deguerry, le futur curé de la Madeleine, l’otage fusillé en 1871 par les hommes de la Commune. Le médecin eût été M. Pelletan fils, médecin du Roi ; six mois avaient suffi, tant l’empressement avait été grand. Pour les compagnons, on n’avait trouvé que Planat, qui avait été un peu de temps, en 1815, officier d’ordonnance de l’Empereur. C’était un brave homme peu décoratif, très dévoué, avec un caractère détestable.

Néanmoins, d’ici qu’ils arrivassent, l’Empereur ne pouvait se passer d’un homme qui fit au moins figure de médecin. Il ne pouvait douter de l’ignorance d’Antommarchi ; il l’avait flétri par une note que Montholon lui avait remise à lui-même : « Depuis quinze mois que vous êtes dans ce pays, vous n’avez donné à Sa Majesté aucune confiance dans votre caractère moral ; vous ne pouvez lui être d’aucune utilité dans sa maladie, et votre séjour ici quelques mois de plus, serait sans objet. » Mais encore, selon les préjugés de la civilisation européenne, convenait-il qu’il eût un médecin auprès de lui quand il mourrait. Antommarchi demanda pardon, obtint de rester et de reprendre son service (6 février).

A ce moment, l’Empereur ne s’habillait plus que rarement. Le vent du Sud-Est lui faisait mal et irritait ses nerfs. Les promenades en calèche devenaient de plus en plus rares. A chaque fois, il rentrait comme anéanti ; ses pieds étaient glacés, et, pour les réchauffer, on employait, de préférence aux boules d’eau chaude, des serviettes « bouillantes. » On avait essayé, pour suppléer à l’exercice qu’il ne pouvait plus chercher au dehors, d’une bascule montée sur un pivot élevé de trois à quatre pieds au-dessus du plancher ; il se plaçait à une extrémité de la bascule, un de ses officiers à l’autre, parfois les enfants de Bertrand. Il se donnait ainsi quelque mouvement, un peu d’exercice et une petite distraction.

Le mois de février passa ainsi. Sans qu’on parût s’en inquiéter, les vomissements étaient devenus fréquents, presque quotidiens ;