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que le grand-maréchal pouvait, sans rien craindre pour l’Empereur, s’absenter durant neuf mois, tantôt à annoncer que l’Empereur n’avait pas pour trois mois à vivre... Sauf s’il consentait à se laisser poser un cautère, il aurait alors une chance. A force d’insister, Montholon et Bertrand obtinrent qu’un cautère fût posé au bras gauche (ç’aurait été le 18 novembre, au dire d’Antommarchi.) « Ce cautère sembla répondre d’abord à l’effet qu’en attendait le docteur ; au bout de quelques jours, l’appétit revint un peu ; les soupirs spasmodiques, qui étaient fréquents, le devinrent moins. » Il y eut accalmie. Mais les contrariétés continuaient : le médecin n’était jamais a Longwood quand l’Empereur le faisait demander, par exemple pour refaire un pansement dérangé. Marchand prit le parti de s’offrir « et d’y suppléer, » jusqu’aux derniers jours de l’existence de l’Empereur, où le cautère sécha tout à fait.

On approchait de 1821. Si fort que Mme Bertrand eût désiré quitter Sainte-Hélène, quelles qu’eussent été les raisons que fournissent à son départ sa santé et celle de son petit Arthur, le grand-maréchal refusa d’embarquer sur le bâtiment venu de l’Inde, qui devait le ramener en Europe avec sa famille. Il avait compris que le dénouement était imminent, et il n’eût pas consenti à déserter son poste.

L’Empereur lui-même avait la conviction que ses jours étaient comptés. Le 1er janvier 1821, comme Marchand entrait dans sa chambre, ouvrait les persiennes et présentait ses vœux : « Ce ne sera pas long, mon fils, lui dit-il, ma fin approche, je ne puis aller loin. » Une sensation désespérée se faisait jour en lui. Il sentait que tous ceux qui l’avaient accompagné, aspiraient à le quitter : tous, comme Montholon qu’il ne retenait qu’à coups d’argent ; comme Mme Bertrand, qu’il ne voyait plus à cause de cela ; comme Bertrand même, pris entre son devoir de sujet et de soldat, et celui d’époux et de père ; comme Antommarchi, qui, sans avertir qui que ce soit des Français, était venu, à la fin de janvier, prévenir sir Thomas Read, le sous-gouverneur, de sa volonté de retourner en Europe ; comme Buonavita, le prêtre que Fesch avait découvert, et dont l’état de santé s’aggravait, dit-on ; comme Chandelier, le cuisinier, qui n’attendait plus que l’arrivée de son remplaçant ; comme Gentilini, l’ancien batelier de l’Ile d’Elbe, dont on avait fait un valet de pied. Le vide se faisait et c’était la fin de cette ordonnance d’étiquette