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s’en occupait. Par une de ces indiscrétions dont les filles anglaises sont coutumières, et qu’elles se font pardonner par la fraîcheur de leur teint, la hardiesse de leur corps bien campé, et la candeur de leur regard droit, miss Johnston, la fille du premier lit de Lady Lowe, s’introduisit crânement dans le jardin. Elle y rencontra Montholon. Elle lui dit le désir qu’elle avait d’apercevoir l’Empereur. Montholon lui offrit son bras, et la promena dans les allées. Sous le long berceau couvert de feuilles de la Passion, l’Empereur se promenait. Montholon pensa que la vue de cette jolie personne ne lui déplairait pas, et il la lui mena. « Son premier mouvement fut un très grand embarras, » qui céda devant la grâce aimable de l’Empereur. Il lui dit quelques mots aimables, lui fit servir des sucreries, et, de sa main, il cueillit une rose qu’il lui offrit.

Après s’être faits terrassiers, jardiniers et hydrauliciens, les serviteurs de l’Empereur, pour lui plaire, s’étaient faits tapissiers. Napoléon, dans le bouge où le confinait l’espionnage d’Hudson Lowe, éprouvait une horreur physique au contact de tentures ou de tapis malpropres. Dans les deux chambres où il vivait, la tenture de nankin, pourrie par l’humidité du sol et des murs, comme par l’absence d’air et de lumière, était rongée et souillée par des rats, la plaie consacrée de Sainte-Hélène. On proposa à l’Empereur diverses solutions, mais il aurait fallu introduire des ouvriers anglais dans son appartement intérieur, et il ne le voulait pas. Il n’autorisa le changement que lorsqu’il fut assuré que tout serait fait par les gens de la maison. Et ce furent eux seuls, en effet, aidés de quelques Chinois, qui nettoyèrent les murs, collèrent du papier blanc, enlevèrent les châssis où ils remplacèrent le nankin par de la mousseline, nettoyèrent et vernirent les meubles, blanchirent les plafonds, changèrent les rideaux de soie verte des petits lits de campagne, substituèrent les aigles des cloches de l’argenterie brisée, aux boules des colonnettes et du couronnement des lits. Quand l’Empereur pénétra dans la chambre, deux pastilles d’Houbigant brûlaient dans la cassolette, la lumière douce du flambeau couvert éclairait joliment les murs : « Ce n’est plus une chambre, dit-il, c’est le boudoir d’une petite maîtresse. »

Antommarchi, dont l’arrivée avait coïncidé avec cette détente relative, en triompha et l’attribua aux prescriptions qu’il avait ordonnées. Le 18 juillet 1820, il écrit au chevalier Colonna ces