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avait tout le temps pour la conduire et pour revenir. L’Empereur savait mieux qu’elle, mieux surtout que le médecin, les jours qui lui étaient comptés.

Cette rémittence dont les occupations au jardin avaient été le symptôme plus que la conséquence, avait donné à tout le personnel de Longwood un regain d’activité. On imagina de transporter de vieux chênes avec des mottes qui demandaient l’effort de vingt hommes afin d’apporter un peu d’ombre autour de la maison. On transplanta ainsi des arbres fruitiers, surtout des pêchers qui, dès la première année, donnèrent des fruits. L’Empereur imagina ensuite d’utiliser pour l’agrément, les eaux qui, du Pic de Diane, arrivaient à Longwood. Laisser ces eaux dans un réservoir d’où on les conduisait aux diverses parties du jardin, lui paraissait banal. Il imagina de les faire couler dans des bassins, reliés par des conduites à découvert, dont il traça minutieusement les plans sur le terrain. Au bord d’un de ces bassins, il fit placer une grande volière dans le style chinois qu’il fit confectionner à Longwood. Quant à la terre tirée pour creuser les bassins, il la fit disposer en une masse circulaire, à gradins successifs, semés de gazon, plantés de fleurs et de rosiers. Cette éminence, placée à la hauteur de la vérandah, interceptait la vue sur le potager, et gênait la communication. L’Empereur fit percer, dans les terres rapportées, une sorte de tunnel, et y établit une salle fraîche, boisée, munie de portes vitrées, et traversée par une large rigole en bois qui amenait l’eau, des bassins du jardin à ceux du potager. Il venait souvent s’asseoir dans cette grotte. Au bassin du milieu. Chandelier, le chef de cuisine, était parvenu, moyennant un tuyau de plomb, à appareiller une petite gerbe d’eau qu’on faisait jouer quand l’Empereur sortait. C’étaient là ses « grandes eaux » à lui qui avait eu Versailles, Trianon, Saint-Cloud, ces eaux diaprées qui, des hauteurs où elles montaient, tombaient en pluie fraîche, ces eaux disposées à miracle pour le plaisir des yeux, qui, de leurs fluidités passagères, formaient de merveilleuses architectures. Il avait pris une distraction à ces médiocres travaux. On eût pu les trouver ridicules, et la petite gerbe, et la grotte, et les bassins, mais pour le distraire, ses gens s’étaient ingéniés ; ils avaient, de leur mieux, fait à leur maître l’aumône d’une petite joie, et c’était assez...

Ces travaux avaient fait le bruit de Jamestown, et l’Ile entière