Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était aussi un moyen de faciliter la convalescence du comte de Montholon et de procurer de l’ombre autour d’une habitation qui en était dénuée. Il croyait aussi, en se promenant, se soustraire à la vue du capitaine de garde. »

Dès que Pierron, le maître d’hôtel, eut acheté en ville bêches, pelles, pioches, brouettes, et que chacun fut armé, — l’Empereur comme les autres, mais il ne se servait de son râteau et de. sa bêche que comme de cannes, — on commença, du côté Sud, par élever un talus gazonné de neuf pieds de haut, qui avait dans sa base neuf pieds de large, sur quatre-vingts pieds de développement. Hudson Lowe ne fît d’abord aucune opposition ; « mais lorsqu’il vit que la barrière des petits-jardins était transportée à cette même distance et que les sentinelles de la nuit se trouvaient transportées à cette même distance, il en conçut des craintes pour la sûreté de la détention ; mais il n’osa pas prendre sur lui de s’y opposer. »

Tous les matins, à la pointe du jour. Marchand, averti par une pierre que l’Empereur lançait dans la persienne de sa chambre, allait éveiller tous les habitants de Longwood, Montholon, les prêtres, le médecin, les domestiques français, anglais et chinois. L’Empereur vêtu, comme Saint-Denis et Noverraz, d’une veste de nankin, sur le col de laquelle était rabattu le col de la chemise, et d’un pantalon de même étoffe, chaussé de pantoufles rouges, coiffé d’un chapeau de paille à larges bords, dirigeait le travail, et le surveillait, en compagnie de Montholon. Bertrand n’arrivait guère avant huit heures et demie. Quelquefois, l’Empereur mettait à chacun d’eux une pioche dans la main, « mais elle ne fonctionnait pas, disait-il, comme dans celles de Noverraz. Messieurs, disait-il, vous n’êtes pas capables de gagner un shelling dans votre journée. » Il essaya lui-même de manier la pioche, mais les ampoules l’obligèrent à y renoncer, A dix heures, on quittait le travail. Le déjeuner de l’Empereur était servi dans l’un des petits jardins, à l’ombre de son bosquet d’orangers, « Le comte de Montholon était régulièrement de ce déjeuner. Le comte Bertrand, s’il restait jusqu’à ce moment, y était invité aussi ; les prêtres et le docteur, tour à tour, le furent quelquefois, mais rarement. » Le déjeuner se composait d’un potage, un plat de viande, — poulet, gigot, ou poitrine de mouton grillée, — et de café « dont il se faisait couvrir le sucre. » L’Empereur mangeait avec appétit, il