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stations dans sa barbe forestière. Ce périple achevé, il revint à Etienne Lamy. Avec la précision d’un historien et l’impartialité d’un ami, il regrava, ce sont ses paroles, quelques traits du portrait tracé par M. Chevrillon. « Une certaine solennité lui était familière, dit-il, mais perdait un peu son apparence d’apprêt, tant on sentait qu’il y atteignait naturellement... Son seul défaut était la continuité d’une éloquence qui ne se détendait pas. A la longue, cette splendeur éblouissait et faisait souhaiter un peu d’ombre... Dans sa solitude, notre confrère réfléchissait, et peut-être trop... Ses erreurs même, assez rares d’ailleurs, attestaient la noblesse de son âme... Son langage, tout somptueux en sa parure, ignorait l’art de se déshabiller ; son exquise bonté elle-même avait besoin pour se rendre visible qu’on l’aidât à se dévoiler... Sa meilleure œuvre fut encore sa vie. » Ayant ainsi achevé le portrait du défunt, M. de la Gorce le vit pour ainsi dire s’éloigner dans le temps, et le trouva pareil aux Laine et aux Royer-Collard.

Puis, comme il dit, il se hâta de secouer ce rêve. Il rappela un entretien qu’il eut avec Etienne Lamy, peu de jours avant que celui-ci mourût, sur l’emploi de sa fortune. Et il termina, par de graves et belles paroles sur la charité, ce discours solide plutôt qu’enchanteur, mais orné de passages vigoureux, entre lesquels il faut citer un tableau vraiment magnifique de Londres au premier matin qui suivit la violation du sol belge. A cet endroit, l’historien avait brusquement repris la place de l’orateur, tandis que l’histoire gardait, pour un instant, le geste et le mouvement de l’éloquence.


HENRY BIDOU.