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a soumis Valentine à un tracas de causes quasi infernales ; du moins chacune de ces causes a-t-elle une visible réalité.

L’analyse des âmes, dans l’œuvre de M. Gaston Chérau, tient peu de place. Il n’a pas besoin d’analyser : il crée. Les personnages qu’il a créés vont et viennent, agissent, pâtissent. Vous les voyez, les entendez : et vous les comprenez comme vous comprenez des êtres vivants qui ne vous ont pas mis dans le secret de leurs pensées ; vous les devinez.

« Le caractère des hommes, dit M. Gaston Chérau, est un miroir qui reflète leur pays. Il est des miroirs larges et limpides, qui peuvent contenir de grandes images sans les déformer ; d’autres, étroits, ternis et brisés, où l’image apparaît courte, trouble et discontinue. » M. Gaston Chérau ne manque pas de mettre ses personnages en accord avec leur pays, avec la terre, avec le village et le paysage. Il leur donne un fond de nature, qui provient de leur origine et de leur métier. Il leur donne aussi une singularité, qui provient de leur inaptitude à refléter exactement leurs alentours. Leurs ressemblances les réunissent, leurs différences les séparent. Il les groupe comme, dans la réalité, se groupent les gens, amis ou ennemis.

M. Gaston Chérau est un romancier très intelligent et qui a l’imagination généreuse et tendre.

Il n’est pas toujours un écrivain parfait. On a remarqué sans doute, en quelques passages de lui que j’ai cités, des négligences déplorables. Il méprise deux ou trois règles de grammaire, qu’il a grand tort de mépriser. Il n’est pas très habile à exprimer des idées abstraites ; et, comme ses doctrines sont débiles, à mon avis, leur expression ne l’est pas moins. Dès qu’il les abandonne et retourne à la réalité, domaine où son imagination très véridique se déploie, il devient un excellent écrivain, souvent admirable, opulent et ingénieux, émouvant, malin, subtil et dont la subtilité même a quelque chose de naïf et de gentiment bon.


ANDRÉ BEAUNIER.