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Mme Dupin, bourgeoise. Ce qui me fâche est de ne rencontrer, dans les romans de M. Gaston Chérau, que des bourgeois bêtes, méchants ou inactifs, tandis que toutes les vertus et la seule efficacité sont le privilège des nomades. Parce que je suis un bourgeois ? Et aussi parce que j’aperçois un parti pris, et qui me choque dans une œuvre où l’on m’a promis de réaliser la difficile vérité de la vie.

Je le disais et le redis : en dépit de ses défauts, parfois irritants, l’œuvre de M. Gaston Chérau a d’excellentes beautés.

Aucun romancier de ce temps ne suscite mieux des personnages et le drame où les placer. Champi-Tortu est aussi réel que le petit Jack d’Alphonse Daudet : nous le connaissons, nous l’aimons, nous avons tendrement pitié de lui. Nous aimons sa mère, si belle, si persécutée par les gens et la malchance. Elle commet plus d’une faute et garde notre sympathie ; quand elle essaye de respirer l’air pur de le mer, au sortir de la chambre qu’empeste son mari tuberculeux, quand elle essaye de vivre et de s’épanouir, en dépit de son devoir, nous l’approuvons ; elle nous a séduits. Valentine Pacquault, petite âme légère, une âme à peine, la plus frivole amante du plaisir, — comme nous l’aimerions demain, si elle vivait ! — et c’est à Manon que je la compare.

M. Gaston Chérau traite chacun de ses personnages tout de même que s’ils vivaient, car il leur a donné la vie. Il les déteste ou les adore et parfois ne résiste pas à la velléité de le leur dire. Dans la petite ville où est né Champi-Tortu, il y a un marchand de nouveautés, toiles et cotonnades, Juigné, qui tente une démarche inopportune et assez dangereuse pour nos amis Champi-Tortu et sa mère -. « Cet imbécile, cet âne de Juigné ! » Jamet, l’oncle de Valentine Pacquault, le roi de son village, est un égoïste que rien ne dérange de songer à soi. Les folies de Valentine, connues là-bas, l’ont détrôné. Il devrait secourir la malheureuse femme. Il lui écrit : « Tu as fait mon malheur ! J’étais le roi du pays et je ne suis plus rien. Je n’ose même plus aller dans les foires et j’ai dû vendre mes chiens... » Alors, M. Chérau : « « C’était son pire malheur, à ce roi du pays, il avait vendu ses chiens ! » Dans L’oiseau de proie, roman d’une extrême violence et qui, avec sa suite Le remous, mène le lecteur à sa guise, le malmène et le tient en état de curiosité angoissante, un petit paysan du nom de Michéou, valet de chiens, a toutes les grâces du cœur, la gaieté, le dévouement, l’amour : « Charmant petit Michéou ! » Valentine Pacquault, M. Gaston Chérau ne l’aime pas toujours. C’est à cause de sa légèreté que François, son mari, une espèce d’enfant qu’ont assailli les terribles