la voix du soc dans le sillon lui gémir de loin : « Garde-toi pour moi ! » Auprès de ce paysan, le bourgeois, fils de bourgeois, « qui a emporté de chaque coin de la maison paternelle le parfum d’une habitude, » aura-t-il du courage ? Oui, « mais petitement, âprement parfois, pour conserver son fauteuil, sa chaise, son lit, le coffre à bois où, les soirs d’hiver, il puise les rondins du foyer. » Que tout cela est à la fois théorique et arbitraire ! Je n’aime pas ce réalisme doctrinal et qui fait de la dialectique a priori. Au surplus, l’histoire exacte de la guerre, où paysans et bourgeois ont valu les nomades, réfute cette combinaison d’idées catégoriques et de faits supposés.
La haine du bourgeois est, pour M. Gaston Chérau comme pour tant de réalistes, un héritage du romantisme ou d’un certain romantisme qui a passé par Flaubert et Mirbeau. La haine du bourgeois est aussi, pour M. Gaston Chérau, la conséquence du grand amour qu’il accorde à ce qu’il appelle un peu vaguement la vie, les mœurs des hommes, plus puissantes que les lois, les instincts, les fortes impulsions, les fougues hardies : le romancier gouverne le penseur.
Mais enfin, les fougues hardies, les fortes impulsions, les instincts produisent, dans ses romans, une calamité perpétuelle, une souffrance abominable, un affreux martyre de la chair et de l’âme. Alors, — je le dis avec simplicité, — je ne comprends pas que ce réaliste, qui voit et qui montre si volontiers les cruels résultats de l’immense désordre, n’ait aucune indulgence pour un « ordre » quelconque, et ne fût-ce que pour l’ordre bourgeois. C’est qu’il préfère son pessimisme ? Voilà précisément ce que je lui reproche.
Eh ! dira-t-on, M. Gaston Chérau n’est point un penseur : je l’accorde ; il est un romancier : je le tiens pour l’un de nos romanciers les meilleurs. Et j’aurais négligé sa doctrine volontiers, si elle ne faisait que de furtives apparitions dans son œuvre. Mais il me semble qu’elle anime toute son œuvre et l’entache. C’est une œuvre de vérité : l’auteur réclame cet éloge et, de bien des façons, le mérite. Seulement, il arrive que la doctrine du penseur altère et fausse la vérité que le romancier recherche et trouve. L’infortunée Valentine Pacquault, l’ordre bourgeois la repousse avec une impitoyable sottise. Je le veux bien ! Valentine Pacquault sera sauvée par le capitaine de Milliaud. Peste ! Un officier : vous devez être content ? C’est que le capitaine de Milliaud, très bon officier, patriote et homme de cœur, on nous le présente comme un bohème de l’armée, un nomade sans feu ni lieu : ses garnisons, autant d’étapes dans sa course à l’incertitude. Et je le veux bien que ce nomade soit plus gentil pour Valentine que