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qui sont des lois autrement puissantes que les lois écrites. » Ce n’est pas la clarté même, on l’avouera. Il reste que M. Gaston Chérau note la différence et, possiblement, la contrariété des lois et des mœurs et qu’il accorde la suprématie aux mœurs sur les lois. Cette suprématie, ne fait-il que la constater ? Je crois qu’il l’aime. Je crois qu’il n’est pas loin d’identifier les lois et ce qu’il appelle, avec peu d’amitié, « l’ordre bourgeois. » Il y a, dans Valentine Pacguault, Mme Dupin, bonne bourgeoise, en vérité assez bonne, qui a pitié de Valentine, mais qui n’a pas l’audace ou l’entrain de la sauver. Elle dit à Valentine : « Ma pauvre petite ! » et la laisse partir. Elle prie pour Valentine ; et Valentine l’aurait priée en vain. Qu’est-ce que la sensible et inutile Mme Dupin ? Une femme « dont l’ordre bourgeois n’a édulcoré que les actes. » La religion fait partie de l’ordre bourgeois. Or, dans L’oiseau de proie, M. Gaston Chérau, qui étudie les paysans de la région landaise, écrit : « Ce sont de grands enfants, qui seraient terribles si l’appétit du bonheur n’était si violent en eux. Tout passe après le plaisir, où l’on court comme par devoir, — ce qui n’est pas si commun, — et l’on n’a pas le goût du martyre des privations, du sacrifice et des mortifications qui sont autant de masques que nous tenons, par héritage, de toutes les religions de la terre. Si, là-bas, on ne nuit pas à son voisin, ce n’est pas par charité, c’est parce qu’on sait que le voisin vous ferait payer sa paix rompue... C’est d’une sagesse sans principe, semblable à celle qui préside à la paix internationale et qui vaut bien l’autre sagesse. » L’oiseau de proie est de 1913 : depuis lors, on a vu l’infirmité de la sagesse qui préside à la paix internationale. Et, ces temps derniers, un immense pays a durement pâti, à ce qu’il semble, et souffre encore, d’avoir aboli l’ordre bourgeois. Mais M. Gaston Chérau cite et adopte cet apophtegme de Mirbeau : « Le bourgeois de chez nous n’est capable que d’économie. » Le bourgeois, c’est la routine. Foin des sentiments « douillets et bourgeois, monotones ! » Le bourgeois, quelle pitié ! Gloire aux nomades ! « Les courageux, ce sont ceux qui ont tâté de tout sans avoir le temps de s’attacher à rien, ce sont les nomades. Le gamin qui, d’une classe de collège, a passé à une autre classe, et du collège au lycée, du lycée à la chambre d’étudiant, et de la dernière chambre d’étudiant à la caserne, est mûr pour le courage. Vienne l’instant, il se fera casser la figure allègrement, n’ayant rien découvert qui lui donnât le goût de l’existence. » A côté de lui, le fils du fermier « se bat parce qu’il a le conseil de guerre dans son dos ; » et « les souvenirs de ses champs le rendent sage. » Il entend