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fusil soit mis dans le cercueil. Il va chercher une belle couronne à la ville et achète, en même temps, un autre fusil. M. Gaston Chérau nous offre cet échantillon de la bêtise humaine, plus triste que la mort. Et, s’il ne nous demande pas : « Vous riez ? » c’est que nous lui répondrions : « Oui ! »

M. Gaston Chérau nous raconte la vie et la mort de ce pauvre petit Bouscot. « Un poète, un vrai, un charmant poète !... » On le voyait rarement ; il avait souvent des balafres aux joues : « Ta main tremble, quand tu te rases ? » Il avouait son tremblement. Il mourut. Et l’on sut que Bouscot prêtait, pour un peu d’argent, son visage au coiffeur : et les garçons faisaient sur lui leur apprentissage. Quelle misère ! Et, si vous n’avez pas un cœur de pierre, vous en pleurez. Voici le coiffeur, auprès du cadavre ; et le coiffeur s’aperçoit qu’au menton de Bouscot défunt la barbe a repoussé : « Il courut à la fenêtre, héla un gamin dans la rue et lui commanda de courir à sa boutique. Tu ramèneras Emile. Tu lui diras d’apporter son rasoir, le blaireau et la poudre de savon. Emile, le nouvel apprenti qui est entré hier ! Ça lui fera la main, à ce gosse. » Vous riez ? Mais oui !

Le réalisme et le pessimisme ensemble aboutissent à ces funèbres facéties. L’on vous promet la vérité, l’humble vérité, la difficile vérité. L’on se promet de n’être point timide : et, par crainte de la timidité, l’on arrive à l’effronterie paradoxale. On se figure que la vérité a pour ennemie venimeuse l’hypocrisie bourgeoise : et l’on s’en donne de taquiner les préjugés des bourgeois, même si quelques-uns de ces préjugés composent tant bien que mal ce que vous avez accoutumé d’appeler le bon goût. Mais la vérité, l’humble et difficile vérité ? On l’oublie.

Ces divers exemples d’une vérité costumée pour le carnaval, je les emprunte aux premiers romans et à des contes de M. Gaston Chérau, qui ne sont pas ses grands ouvrages les plus renommés et les plus dignes d’admiration. Mais, dans ses plus beaux livres, le même inconvénient se trouve de place en place.

Champi-Tortu est un beau livre, justement célèbre, l’histoire d’un pauvre petit garçon, bossu, tortu, jaloux, et qui, dans sa courte existence, a enduré plus de souffrance que n’en contiennent de longues vies ordinaires. L’auteur écrit : « Ce sera mon honneur d’avoir contribué à éclairer ces espaces si peu connus de l’esprit et du cœur d’un enfant ; mais, ayant porté un peu de lumière dans ce domaine trop négligé, dont le ciel est tantôt si limpide, tantôt si tourmenté, je voudrais que les hommes et les femmes qui ont charge de