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remédier. Va-t-il donc se marier, vivre en famille, comme ont fait ses bons bourgeois de parents ? Ce serait se renier lui-même. Mais il est d’esprit subtil ; son ingéniosité naturelle a tôt fait de lui fournir cet habile compromis : « A côté de l’amour, il y a l’enfant, qui est la raison d’être du mariage et de la famille. Partout où il règne, l’esprit est sain. Je lui demanderai de redresser le mien. » Un enfant ! Il faut à Dagrenat un enfant ! Alors rien ne s’opposera plus à ce qu’il écrive des pièces parfaites.

Le raisonnement, quand il est conduit avec cette intrépidité de logique et poussé jusqu’à ses ultimes conséquences, est une belle chose. Esprit compliqué, Félix Dagrenat est par ailleurs un esprit candide. Ce littérateur, qui a plus que du talent, tombe dans l’erreur la plus grossière qu’un écrivain puisse commettre : il subordonne sa vie à sa littérature. Au lieu de vivre sa vie pour elle-même, d’en respirer les joies et les tristesses comme l’air qu’on respire à pleins poumons et sans le faire exprès, il règle sa vie sur les besoins de son théâtre : il aura un enfant pour donner à son œuvre un peu plus d’humanité ! L’enfant sera pour lui « un exercice de style, » « un devoir de rhétorique ! » Paternité nouvelle, aux fins de littérature…

Homme à système jusqu’au bout, vous devinez que Dagrenat ne confiera pas au hasard le soin de choisir la mère de son enfant. Pareil au héros de l’Ame en folie, il a beaucoup étudié les lois du règne animal et réfléchi sur la sélection naturelle. « L’hérédité d’un père trop raffiné, dit-il, doit être compensée par celle d’une mère ultra-simple. Une campagnarde placide, robuste, serait tout indiquée. Je veux un rejeton bien râblé. » Parlez-moi d’un enfant confectionné dans les règles ! Ce sera le chef-d’œuvre de la méthode. Tant il y a que Félix Dagrenat rendra mère une fille de ferme. Beaucoup d’autres l’avaient fait avant lui, — et n’avaient pas fait tant d’embarras.

L’expérience est trop spéciale pour que nous ne soyons pas curieux d’en connaître le résultat. C’est le sujet des deux actes qu’il nous reste à entendre. Première étape : dix-sept ans après. Le fils Dagrenat est un grand garçon bien découplé, vif et hardi, intelligent et bon, laborieux et de belle humeur. C’est un succès. Oui, mais le théâtre de Dagrenat ne s’est pas sensiblement modifié : il continue d’intéresser l’élite et de déconcerter la masse. Chacun découvre dans ses pièces ce qu’il lui plaît d’y trouver. Au sortir de son drame, la Revanche des dieux, deux jeunes gens lui ont écrit : l’un se convertissait au catholicisme, l’autre abjurait la foi de son enfance. Sa pièce sociale,