un fainéant, un envieux et un crétin, qui passe son temps au cabaret à faire des parties de bricole et à jouer au bourgeois devant la galerie. À mesure que l’échéance approche, que le crime se répète et que les chances d’impunité s’épuisent, les deux aînés se sentent envahis de terreur. Ils comprennent que déjà ils ne sont plus comme « les autres. » Ils deviennent nerveux, irritables. À tout instant, ils tremblent de se voir découverts. Et il faut jouer la comédie, soutenir les regards des gens, causer, sauver la face ; et quelquefois, ainsi, on se donne le change. En parlant de littérature avec l’archéologue, Jules éprouve par moments un instant de bien-être, « comme un pauvre reçu dans la société d’un riche. » Puis, aussitôt après, il éclate en sanglots. En attendant, ils jouissent de leur reste, ils se soignent, se la coulent douce : encore une manière d’oublier. Et c’est aussi le moyen de tromper Modesta sur l’état de leurs affaires. « La table, voyez-vous, c’est notre péché mignon. » — « Plus j’approche de la culbute, ajoute Nicolas, plus je ne me soucie que de boire et de manger. » Jules consent, par faiblesse et pour faire plaisir à ses frères et pour ne pas donner l’éveil à sa belle-sœur, et aussi par défi et par une sorte d’orgueil. Et il éprouve, à faire ses faux, une espèce de plaisir d’artiste. C’est pour cela qu’il se déshonore, — pour que ce goinfre d’Henri puisse s’empiffrer à son aise et vivre comme un « signore, » — et pour que les petites vivent comme des demoiselles… Et c’est merveille de voir comme ces vices sordides, la gueule, la paresse, — qui n’offrent pas l’attrait des passions « distinguées, » telles que l’ambition ou la luxure, — finissent par donner une impression tragique.
Enfin, l’inévitable arrive. Les faux sont découverts. On se figure quel scandale dans cette ville de province, quand on apprend que les Gambi font une faillite frauduleuse de 70 000 francs. « Jules ne versa pas une larme, mais il avait les yeux d’un homme qui aurait pleuré toute sa vie. » Aussitôt son parti est pris. C’est lui qui a eu l’ « idée, » c’est lui qui a fait le coup : c’est lui qui paiera pour ses frères. Pendant trois ans, il a été faussaire sans remords, avec une adresse et un succès qui finissaient par devenir l’exercice d’un droit, puisque « les autres » étaient assez bêtes pour s’y prendre. Son crime, en l’isolant, lui donnait une espèce de supériorité. « Je n’ai pas réussi, ce n’est pas ma faute… On dira que j’ai trompé les gens