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Ne nous effrayons pas trop de l’énorme dépense. Le prodigue amphitryon avait le génie des affaires comme celui des fêtes. C’était un administrateur avare, entrant dans le moindre détail d’une fortune, dont le revenu devait être à sa mort, vingt et un ans plus tard, de huit cent quarante mille livres, plus de douze cent vingt mille en comptant les pensions, la grande maîtrise de France et le gouvernement de Bourgogne, cinq ou six millions de notre monnaie d’avant-guerre.

Dans le ravissant décor de Chantilly et de sa forêt, qui valait bien les horizons de la rue Guénégaud, les invités se divertirent à la façon de héros d’opéra.

Ce fut d’abord, le dimanche 22 août, l’arrivée de Monseigneur, au carrefour de la Vieille-Route, où l’attendaient Monsieur le Prince, Monsieur le Duc et le prince de Conti ; puis la chasse à tir (car il partait des faisans et des perdreaux à mesure qu’on avançait à travers les bois) ; puis, vers cinq heures, la collation au rond-point de la Table.

Le rond-point, sorte d’étoile formée par l’aboutissement de douze routes bordées de charmilles, était entouré d’un treillis feuillu. On entrait par douze portiques, et, par quatre larges escaliers, on montait à une estrade. On pénétrait alors dans un édifice de verdure et de fleurs dont les douze arcades semblaient encadrer les douze routes.

C’était là qu’était dressée une table ronde, large de dix pieds ; sur la table, vingt-quatre bassins de rôt entourés chacun de quatre plats d’entremets chauds ; au milieu, dans une immense corbeille d’argent, des fleurs et des fruits ; des fruits encore dans d’autres corbeilles d’argent portées par les consoles de vermeil qui soutenaient la table. On avait à peine posé le dernier plat chaud, que Monseigneur vint s’asseoir sous le pavillon, avec les princes et les seigneurs, en face de l’arcade qui regardait la grande route de Chantilly.

Le repas commence au son des trompettes et des cymbales... Mais soudain, pourquoi les sonneries de trompettes et le bruit des cymbales ont-ils cessé ? D’où part cette harmonie de flûtes, de musettes et de hautbois ? La route, qui s’étend à perte de vue, sous les yeux du Dauphin, est déserte. Elle ne l’est pas longtemps.

Au loin, paraît un acteur à la tête d’une troupe nombreuse de figurants. C’est le dieu Pan, suivi des divinités des forêts, faunes, sylvains et satyres. Non, c’est Lulli, le cadet, surintendant