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plus que toutes choses, l’honneur de ses bonnes grâces. Il y a plus d’un an qu’il soupire et qu’il se regarde, dans l’état où il est, comme s’il était en purgatoire. Je conjure Votre Majesté de l’en vouloir sortir et de lui accorder un pardon généreux. Je me flatte peut-être un peu trop, mais que ne peut-on espérer du plus grand Roi de la terre, de qui je demeure, comme j’ai vécu, le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet ? »

Le 11 décembre, à six heures du matin, Monsieur le Prince, qui s’était confessé au Père Bergier, car le Père de Champs n’arrivait pas, et qui avait reçu les sacrements, vit entrer le Duc d’Enghien, il l’entendit s’écrier : « Le Roi pardonne au prince de Conti ! » et Condé serra son fils sur sa poitrine. Puis il voulut ajouter à sa lettre de la veille, — cette lettre n’était pas encore partie, — un post-scriptum où éclate sa reconnaissance :

« Mon fils, disait-il, vient de m’apprendre en arrivant la grâce que Votre Majesté a eu la bonté de me faire, en pardonnant à M. le prince de Conti. Je suis bien heureux qu’il me reste assez de vie pour en faire mes très humbles remerciements à Votre Majesté. Je meurs content, si elle veut bien me faire la justice de croire que personne n’a eu pour elle de sentiments si remplis de respect, de dévouement, et, si j’ose le dire, de tendresse. »

Monsieur le Prince avait à peine achevé, que son neveu arrivait enfin, consolation suprême, plus douce encore, depuis que le Roi avait pardonné.

En cette journée du 11 décembre 1686, dans la chambre pleine de prières et de sanglots, Conti écoutait parler son oncle pour la dernière fois. Condé l’exhortait à demeurer fidèle à Dieu et au Roi, uni au Duc et à la Duchesse d’Enghien, qu’il lui demanda d’embrasser en sa présence. Il s’humiliait devant ses officiers et ses valets, à cause des scandales qu’il avait pu leur donner. De peur de s’attendrir, il désirait éloigner ses enfants, rester avec les prêtres, « ses seuls médecins » désormais, et répondait en latin aux oraisons.

La nuit était tombée depuis longtemps, et les prières continuaient toujours. In te, Domiine, speravi, disait le prêtre, Et in justifia tua libera me, répondait le mourant. Tout le monde l’entendit ; mais, lorsque le prêtre eut ajouté : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum, nul son ne sortit des lèvres entrouvertes, seulement un souffle à peine perceptible, le dernier soupir de « Monsieur le Prince le Héros ! »