Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyageurs curieux, de ce qu’ils avaient découvert, ou dans la nature, ou dans le gouvernement, ou dans le commerce ; à l’artisan de ses inventions ; et enfin aux savants de toutes les sortes, de ce qu’ils avaient trouvé de plus merveilleux. »

Mieux qu’une description minutieuse, le large tableau de Bossuet donne la sensation du spectacle admirable de Chantilly, animé, éclairé et comme transfiguré par la présence d’un homme de génie. Il permet d’observer que les qualités étonnantes célébrées par l’évêque de Meaux chez Condé, cette universalité de connaissances et d’aptitudes, sont précisément les mêmes que l’abbé Fleury et Saint-Simon remarquaient chez Conti. Massillon se laisse à peine entraîner aux exagérations laudatives, lorsqu’il dit : « Un si beau naturel et de si grandes espérances dans un neveu si chéri tiraient des yeux du prince de Condé des larmes de joie, d’admiration, de tendresse : il se voyait revivre en lui ; il y retrouvait toutes ses rares qualités (osons le dire après lui) sans y retrouver ses défauts. La nature même avait tracé jusque dans la ressemblance de leur visage celle de leur âme. Il achève, il embellit, en le formant, sa propre image. »

Massillon se contente ici de parer des grâces de son style les documents qu’il tient de Fleury. Nous savons, par le précepteur, que Conti s’éloigna fort peu de Monsieur le Prince en 1686. Il apprenait de son oncle l’art de la guerre, recueillait des détails sur ses campagnes, « ses desseins, les raisons de l’exécution, » des « jugements sur le succès, sur sa conduite et celle des autres généraux, leurs fautes et les siennes. » Tout cela, Conti se hâtait de l’écrire. « C’est lui-même qui me l’a dit, » affirme l’abbé Fleury. Le fait est cependant contesté, et l’on ne peut que regretter, s’il est exact, que de pareils monuments n’existent plus, et que nous n’ayons pas, rédigés par Conti, les Mémoires de Condé.

Vraiment, François-Louis de Bourbon n’était pas à plaindre, ayant le héros pour mentor, et, pour exil. Chantilly avec sa giboyeuse forêt, ses amples avenues, son canal, ses cascades, rivales de celles de Versailles, les deux châteaux, le grand, tel que l’avait, au XVIe siècle, transformé Chambiges, le petit, dont Mansart était en train de construire une nouvelle façade.

Les hôtes étaient dignes du séjour. L’élite de l’Europe s’y empressait. Les visiteurs non annoncés gagnaient, par la voiture publique de Senlis, La Chapelle-en-Serval ; ils y prenaient « une commodité, » qui les conduisait aux bonnes hôtelleries de