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LE GRAND CONTI

II[1]


A CHANTILLY

Condé à Chantilly ! Que de beauté évoquent ces simples mots ! Les paroles de Mme de Sévigné reviennent à la mémoire : « Monsieur le Prince est dans son apothéose de Chantilly ; il vaut mieux là que tous les héros d’Homère. » On croit entendre les phrases harmonieuses de Massillon qui commencent comme une période de Virgile : « Là, dans un glorieux loisir, le Grand Condé jouissait du fruit de sa réputation et de ses victoires ; et, ayant jusque-là vécu pour la postérité, il vivait enfin pour lui-même. » Mais la voix de Bossuet couvre toutes les réminiscences : « Sans envie, sans fard, sans ostentation, toujours grand dans l’action et dans le repos, il parut à Chantilly comme à la tête des troupes. Qu’il embellît cette magnifique et délicieuse maison, ou bien qu’il munît un camp au milieu du pays ennemi, et qu’il fortifiât une place ; qu’il marchât avec une armée parmi les périls, ou qu’il conduisit ses amis dans ces superbes allées au bruit de tant de jets d’eau qui ne se taisaient ni jour ni nuit : c’était toujours le même homme, et sa gloire le suivait partout... Ce n’était pas seulement la guerre qui lui donnait de l’éclat : son grand génie embrassait tout : l’antique comme le moderne, l’histoire, la philosophie, la théologie la plus sublime, et les arts avec les sciences. Aussi, sa conversation était un charme, parce qu’il savait parler à chacun selon ses talents ; et non seulement aux gens de guerre, de leurs entreprises ; aux courtisans de leurs intérêts, aux politiques de leurs négociations ; mais encore aux

  1. Voyez la Revue du 1er avril.