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au pouvoir des hommes jouissant de la confiance publique et de leur accorder une entière liberté d’action. L’assemblée exprime enfin sa conviction que « la voix fidèle du peuple moscovite sera entendue par le Tsar. »

Cet appel à l’Empereur pour l’institution immédiate d’un ministère responsable est d’autant plus significatif, qu’il émane de Moscou, la ville sainte, le foyer du nationalisme russe.

Ce qui est plus expressif encore, ce sont les commentaires qui ont accompagné le vote de la motion et dont la censure vient d’interdire la publication. Des critiques violentes ont été formulées contre les ministres actuels et l’Empereur a été personnellement mis en cause.

On me signale de l’excitation dans les milieux ouvriers.



Jeudi, 2 septembre 1915.

La comtesse de Hohenfelsen, épouse morganatique du Grand-Duc Paul, qui vient d’être créée princesse Paley, m’a téléphoné hier soir pour m’inviter à dîner aujourd’hui, en insistant pour que j’accepte, parce qu’on avait à me parler.

Je trouve dans le salon Mme Wyroubow, Michel Stakhovitch et Dimitry Benckendorff. Le Grand-Duc Dimitry-Pavlowitch est là aussi, arrivé ce matin du Grand-Quartier général.

Une tristesse anxieuse pèse sur le dîner. Deux fois pendant le repas, le suisse du palais, dans son grand manteau écarlate et brodé d’or, la casquette à la main, s’approche du Grand-Duc Dimitry et lui glisse quelques mots à l’oreille. Chaque fois, le Grand-Duc Paul interroge du regard son fils, qui répond simplement :

— Rien... Toujours rien !

La princesse Paley me dit, à voix basse :

— Le Grand-Duc vous racontera tout à l’heure pourquoi Dimitry est venu de la Stavka ; il a demandé, ce matin, dès son arrivée, une audience à l’Empereur. Impossible d’obtenir une réponse. Le suisse vient encore de téléphoner deux fois à la chancellerie du Palais Alexandre pour s’informer si Sa Majesté n’a pas fait connaître ses ordres. Toujours rien ! C’est d’un mauvais présage.

Tandis qu’on sert le café au salon, Mme Wyroubow m’offre un siège auprès d’elle et, sans autre exorde, elle me dit ;