Dans la crise des munitions, son rôle a été aussi néfaste que mystérieux. Le 28 septembre dernier, répondant à une question que je lui avais officiellement posée de la part du général Joffre, il m’avait affirmé, par une note, que toutes les mesures étaient prises afin d’assurer à l’armée russe toutes les munitions dont elle pourrait avoir besoin pendant une longue guerre. Sazonow, à qui je parlais de cette note, il y a huit jours, m’a prié de la lui confier pour la mettre sous les yeux de l’Empereur, qui en a été stupéfait. Non seulement aucune mesure n’avait été prise en vue de pourvoir aux besoins croissants de l’artillerie russe ; mais, depuis lors, le général Soukhomlinow s’est insidieusement appliqué à faire échouer toutes les innovations qu’on lui a proposées pour développer la fabrication des projectiles. Attitude étrange, énigmatique, dont il faut peut-être chercher l’explication dans la haine féroce que le ministre de la Guerre a vouée au Grand-Duc Nicolas, ne pouvant lui pardonner d’avoir été nommé généralissime, alors qu’il se croyait sûr d’obtenir la place.
Le général Polivanow est instruit, actif et laborieux ; il a le sens de l’organisation et du commandement. On lui attribue, en outre, des opinions libérales qui le rendent sympathique à la Douma.
Lundi, 28 juin 1915.
Sazonow, qui revient du Grand-Quartier général, en rapporte de bonnes impressions, au moins quant à l’esprit qui anime le Haut-Commandement :
— L’armée russe, me dit-il, poursuivra sa retraite aussi lentement que possible, en saisissant toute occasion de contre-attaquer l’ennemi et de le harceler. Si le Grand-Duc Nicolas constate que les Allemands retirent une partie de leurs forces pour les reporter vers le front occidental, il reprendra aussitôt l’offensive. Le plan d’opérations qu’il a adopté lui permet d’espérer que nos troupes pourront se maintenir dans Varsovie pendant deux mois encore... J’ai d’ailleurs trouvé, dans l’État-Major, un moral excellent...
Au point de vue politique, il m’annonce que l’Empereur va faire appel à toutes les forces du pays dans un rescrit solennel, qui annoncera simultanément la réunion prochaine de la Douma.