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amitiés comme celle qui allait naître, entre Charles de Foucauld et lui, n’ont point, d’ailleurs, leur origine dans les mots, ni dans l’éclat du talent, ni dans la volonté de conquérir. Un homme incroyant, et qui a mal vécu, se trouve en présence d’un autre homme, non seulement croyant et chaste, mais devenu la prière même, la pitié même pour l’immense faiblesse et souffrance humaine, peut-être plus, comme on l’a dit : l’une des victimes qui, secrètement, s’offrent à Dieu pour souffrir, réparer le mal, adoucir le châtiment d’autrui. Ces deux hommes peuvent n’avoir échangé que des phrases banales ; s’être salués seulement, puis regardés l’un l’autre, cinq ou six fois, dans une soirée : cela suffit, ils se sont reconnus ; ils s’attendaient ; dans leur cœur, ils nommeront désormais cette rencontre un grand événement. L’un a pensé : « Vous êtes la religion ! » l’autre : « Mon frère qui êtes malheureux, je ne suis qu’un pauvre homme, mais mon Dieu est très doux, et il cherche votre âme pour la sauver. » Ils ne s’oublieront plus.

L’abbé Huvelin, né en 1838 était donc, en 1886, un homme encore jeune, bien qu’il n y parût guère : la vie pénitente qu’il menait depuis sa première jeunesse, et qui avait fait sourire ou s’émouvoir ses camarades de l’Ecole Normale ; la fatigue d’être et d’avoir été à la merci de toutes les douleurs en quête d’allégement, de toutes les inquiétudes humaines cherchant une décision ; la maladie aussi, une sorte de rhumatisme généralisé, qui déjà l’éprouvait, ne lui laissaient guère que la jeunesse d’un esprit prompt et d’un cœur très sensible. Il tenait la tête penchée sur l’épaule ; il avait le visage creusé de rides ; la marche lui était souvent un supplice. Ce vicaire à Saint-Augustin avait, dans Paris, une terrible clientèle de pénitents, des relations innombrables, et, ce qui compliquait encore singulièrement sa vie, la réputation d’un saint homme.

La sainteté est le plus puissant attrait qui rassemble les âmes de bonne volonté. La sienne s’était promptement révélée dans les conférences qu’il faisait aux jeunes gens, depuis 1875, sur l’histoire de l’Eglise. Malgré ses protestations, il avait vu des femmes en grand nombre, et des hommes ayant dépassé la jeunesse, se mêler au public auquel ses conférences de la crypte étaient d’abord réservées. Il parlait aussi dans la chaire de la paroisse, et on se pressait pour entendre ce causeur qui ne récitait point, ne cherchait point à étonner, mais improvisait