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philosophes païens, et les interrogeait sur l’âme, le devoir, la vie future. Les réponses lui semblaient pauvres. Elles le sont nécessairement. La raison ne va pas loin sans guide dans le problème de la création et de la destinée. Charles avait l’esprit trop net pour se contenter du bruit des mots et de l’éclat des images. Il savait que la philosophie des temps anciens n’avait rien purifié, rien adouci, rien consolé, et il serait revenu, sans doute, à la formule d’absolu scepticisme adoptée dès le collège : « les hommes ne peuvent connaître la vérité, » si le spectacle de la petite société choisie où il se trouvait replacé n’avait chaque jour ébranlé l’autorité fragile de cette conclusion.

La probité, la délicatesse, la charité devenue habitude et comme naturelle, la joie aussi de ces consciences voisines qui ne se cachaient pas de lui, et où il pouvait lire, l’obligeaient à de perpétuels retours sur lui-même. Voici, se disait-il, des hommes, des femmes, tous cultivés, quelques-uns tout à fait supérieurs par l’intelligence : puisqu’ils acceptent entièrement la foi catholique, ne serait-ce pas qu’elle est vraie ? Ils l’ont étudiée, ils la vivent pleinement. Et moi, et moi, qu’est-ce que je connais d’elle ? Sincèrement, connaissé-je le catholicisme ?

Il réfléchissait. La seule inquiétude de ces choses est déjà une prière, et Dieu l’écoutait. Quelques pages d’un livre chrétien qu’il avait ouvert après tant d’autres, dans un moment d’angoisse, — j’ignore quel était ce livre, — commencèrent d’éclairer cet incroyant, qui avait cherché la beauté parfaite et la tendresse infinie partout où elles ne sont pas.

Il est probable que sa tante, ses cousines, sa sœur qui vint plusieurs fois le voir à Paris, et qu’il aimait tendrement, avaient quelque soupçon de ce travail intérieur qui amenait à la vérité une intelligence et un cœur dévoyés. Elles ne le hâtaient par aucun moyen humain. Elles étaient bonnes, elles suivaient la route droite, elles priaient. Ce fut par hasard qu’un soir, chez madame Moitessier, Charles rencontra l’abbé Huvelin, qui était lié, depuis longtemps, avec plusieurs personnes de la famille de Foucauld. Etant très humble, très simple, très homme d’oraison et de mysticité, cet ancien normalien fit grande impression sur celui qui devait lui ressembler un jour. : Que dit-il ce soir-là ?

Il est très sûr qu’il n’essaya pas de briller. S’il eut de l’esprit, c’est qu’il ne pouvait faire autrement que d’en avoir. Les