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la vie qu’il mène à Mogador ; ce n’est point une vie oisive, ou simplement de repos. « Je suis jusqu’au cou dans mes longitudes, écrit-il le 8 février, je travaille du matin au soir, et une partie de la nuit. C’est cent fois plus émouvant que le voyage même, car là est le résultat. S’il n’est pas bon, c’est huit mois de peine et de travail perdus ; mais j’espère qu’il sera présentable. Je suis ici merveilleusement pour travailler : je loge dans un hôtel-pension arrangé à l’européenne, mais tenu par des juifs espagnols : j’y ai une chambre convenable, où je me tiens toute la journée, et j’y dîne le soir. Je ne sors qu’une fois par jour, pour aller déjeuner chez le seul Français de Mogador, M. Montel, chancelier du Consulat, (le Consul est absent)... Je suis bien content de me retrouver chaque jour, pendant deux ou trois heures, dans un intérieur français, et surtout auprès de quelqu’un qui a été charmant pour moi, et m’a rendu toute espèce de services à mon arrivée. »

14 février : il Je passe mon temps de la façon la plus uniforme du monde : de sept heures à onze heures du matin, je travaille ; de onze heures à une heure, je vais déjeuner chez le chancelier ; à une heure, je me remets à la besogne ; je dine à sept heures à ma pension, puis je me remets à travailler jusqu’à une heure du matin environ... En fait de visite, je n’en fais aucune, puisqu’il n’y a personne à voir ; j’en reçois une chaque jour, celle du nègre qui commande l’escorte par laquelle je me suis fait accompagner. Ne te figure pas qu’elle soit énorme : elle se composait de trois hommes au départ, et n’est plus que de deux, le troisième, qui était un esclave dudit nègre, ayant été vendu ces jours-ci par son maître. Ceux qui restent attendent patiemment, ou plutôt un peu impatiemment, le moment où je me remettrai en route. Chaque jour le chef, le nègre, un chikh de Tisint, vient me rendre compte de l’état des hommes et des mules, me raconter ce qu’il a fait, et prendre l’argent de la journée : c’est une causerie, et une leçon d’arabe... Je tiens beaucoup à ce qu’on ne me remarque pas trop, pour que le gouvernement marocain n’ait pas vent de mes projets, et ne cherche pas à me créer des obstacles sur ma route : sa politique, depuis de longues années, est d’empêcher, par tous les moyens possibles, les Européens de voyager dans l’intérieur, de l’Empire... »

« 7 mars 1884 : Les lettres tardent bien, ma bonne Mimi.