et passent quelques jours à Tetouan. Ils en repartent le 2 juillet dans la direction du Sud, pour Chechaouen. On est surpris, en lisant la Reconnaissance au Maroc, de la fréquence du ton idyllique. La fraîcheur des jardins, l’abondance des moissons, la douceur de l’air, sont des expressions qui reviennent sous la plume de l’explorateur, quand il décrit certaines régions, comme celle de Chechaouen, et il n’est pas douteux, d’abord, qu’il a vu juste, mais aussi qu’une espèce de sympathie naturelle l’accorde avec ce paysage, lui en fait goûter la beauté. Dès le 2 juillet, parvenu en pays de montagnes, il écrit : « Le Djebel béni Hasan présente maintenant un aspect enchanteur : des champs de blé s’étagent en amphithéâtre sur son flanc, et, depuis les roches qui le couronnent jusqu’au fond de la vallée, le couvrent d’un tapis d’or ; au milieu des blés, brille une multitude de villages entourés de jardins ; ce n’est que vie, richesse, fraîcheur. Des sources jaillissent de toutes parts ; à chaque pas, on traverse des ruisseaux ; ils coulent en cascades parmi les fougères, les lauriers, les figuiers et la vigne, qui poussent d’eux-mêmes sur leurs bords. Nulle part je n’ai vu de paysages plus riants, nulle part un tel air de prospérité, nulle part une terre aussi généreuse, ni des habitants plus laborieux. D’ici à Chechaouen, le pays reste semblable : le nom des vallées change, mais pareille richesse règne partout ; elle augmente même encore à mesure que l’on s’avance. »
Dès le début du voyage, dix jours après qu’il a quitté Tanger, l’explorateur est en plein inconnu. Dans cette petite ville de Chechaouen, un seul chrétien était entré, un Espagnol, vers 1863 : il n’était pas revenu. Charles de Foucauld, vingt ans plus tard, le 2 juillet, s’arrêtait sur une hauteur voisine pour prendre un croquis, d’après lequel le vicomte Olivier de Bondy a pu faire ce dessin large et précis publié dans la Reconnaissance au Maroc. Il pénétra même dans le quartier juif, et croisa, en chemin, beaucoup de gens des Beni-Zedjel, qui lui criaient : « Que Dieu fasse éternellement brûler le père qui t’a engendré, Juif ! » La nuit du 2 au 3, il la passa dans le Mellah. Il ne semble pas qu’il ait visité la ville même, mais il a été aussi loin qu’il pouvait aller, et seul.
Dans ce Maroc où il entre en piètre équipage, mais avec une ambition violente et magnifique, c’est d’ailleurs l’inconnu qu’il cherche. Les régions défendues, sauvages, ont toutes ses préférences.