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aperçoit, en deux phrases : « Plus de montagnes véritables d’ici à Timbouctou : partout la plaine ondulée ou unie, sablonneuse ou pierreuse, toujours stérile et solitaire. Seul reste de vie, quelques oasis la tachent, de loin en loin, de points noirs. » Mais il ne se permet point de céder à cette tendance de son esprit. Il écrit avec l’intention bien arrêtée, non de se faire admirer, mais de servir la France, héritière probable du Maroc, de lui préparer les voies, d’aider les camarades qui auront un jour, il le pressent, la mission de conquérir cet empire où, en plus d’un endroit, il rencontre des chefs secrètement désireux de la venue des Français. En somme, il est déjà celui qui prépare.

Ce caractère marquera toute sa vie. Plus tard, quand il réapparaîtra en Afrique, Foucauld se donnera pour mission d’ « apprivoiser » les musulmans, de les rapprocher de nous et de la loi chrétienne. Tout son effort, tous ses sacrifices, jusqu’au dernier, ne tendront qu’à ceci : rendre possible, pour les missionnaires qui viendront, la prédication de l’Evangile. Il sera, religieusement aussi, le précurseur, le fourrier, l’homme de pointe.

Le vicomte de Foucauld et Mardochée quittent Tanger le 21 juin 1883, à trois heures de l’après-midi. Ils font partie d’une petite caravane ; ils sont montés sur des mules, grâce auxquelles le long voyage entrepris au Maroc se fera assez rapidement. On marche jusqu’à neuf heures du soir, une partie du temps au milieu de champs de blé magnifiques. Le lendemain, à quatre heures du matin, la caravane se remet en mouvement. Il n’y avait point de routes au Maroc, en ce temps-là, mais seulement des pistes tracées par le pas des hommes et des bêtes. Chaque jour, Charles de Foucauld notera la qualité du terrain, les principales essences d’arbres qui couvrent le sol par endroits, la couleur des roches ; il dira s’il a rencontré d’autres voyageurs ; si beaucoup de perdreaux, de tourterelles se sont levés sur le passage ; si des lièvres ont déboulé. Il est frappé, dans ce début de son voyage, de la multitude des ruisseaux et petites rivières qu’il traverse ou côtoie, de la vigueur de la végétation, de la beauté des cultures, et déjà il plaint le pauvre paysan marocain, auquel les pillards d’un côté, le fisc de l’autre, enlèvent la meilleure part des récoltes.

Les voyageurs font presque tout de suite un crochet à l’Est,