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qu’on jugeât son père et ses ministres. Colbert, qui constatait dans la marine et les colonies l’activité merveilleuse de son prédécesseur, ne tarissait pas d’éloges sur ce qu’il appelait « le grand cardinal. » Enfin l’Académie française ayant admis que chaque nouvel académicien célébrerait dans son discours de réception le fondateur de la compagnie, la mémoire de Richelieu se trouva exaltée par la voix des écrivains les plus éminents, et l’opinion considéra de façon plus indulgente le ministre disparu.

L’impopularité reprit au XVIIIe siècle. L’école philosophique donna contre Richelieu avec une animosité extrême. Montesquieu l’appelle « un méchant citoyen. » Voltaire ne peut pas voir son nom au bout de sa plume sans l’invectiver d’un flot de sarcasmes et d’injures. Tous lui en voulaient d’avoir, comme ils disaient, « fondé le despotisme. » L’accusation est restée ; elle a changé de nom : nos manuels d’histoire disent que Richelieu a établi en France « la monarchie absolue : » mot mal fait d’ailleurs, qu’est-ce que son contraire « la monarchie relative ? « Il faudrait dire plutôt « le césarisme monarchique : » et « le césarisme monarchique, » c’est Louis XIV qui l’a fondé. On oublie la Fronde.

Le romantisme hérita des sentiments des philosophes du XVIIIe siècle : il les transforma, utilisant le personnage du « rouge tyran » pour en faire un sujet de littérature. Alors on vit sur la scène, ou dans le roman, un Richelieu fantastique, effrayant, doué d’une puissance diabolique : « Voilà l’homme rouge qui passe ! » pour tout dire, une sorte de fantoche de mélodrame et de roman feuilleton.


Prenez garde, Messieurs, le ministre est puissant !
C’est un large faucheur qui verse à flots le sang :
Et puis il couvre tout de sa soutane rouge,
Et tout est dit !


Toutefois Richelieu n’était plus seulement odieux, il prenait figure de très grand homme, sans doute un peu terrible, mais qui ne laissait pas de flatter le goût de ceux qui aiment que notre histoire compte quelques héros démesurés. Ce sentiment profita à la réaction qui allait suivre.

On avait, en effet, publié en 1823 les Mémoires du cardinal de Richelieu, jusque-là inconnus du public. Le grand ministre venait expliquer lui-même à la postérité ses intentions et ses