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Je n’y gagnerais rien, j’y perdrais plutôt, mais la tranquillité des relations et le plaisir de s’adresser à un certain public, vaut bien cela… »

Est-il besoin de dire qu’après cela, F. Buloz se conforma aux désirs de George Sand ? Moyennant trois ouvrages annuels, la Revue d’une part, et l’édition des œuvres anciennes de l’autre, fourniront à George une rente de 22 500 francs annuellement. Si elle écrit en outre des ouvrages nouveaux, ils lui seront payés en dehors de ce contrat 5 500 francs ; mais ni M. Aucante, ni F. Buloz ne souhaitent que leur amie se charge actuellement de cet excès de travail[1].

George Sand, à la fin de cette année 1860, fut assez gravement malade pour donner de sérieuses inquiétudes aux siens. « Vous m’avez… tous ramenée à la vie, écrit-elle en novembre à Pauline Viardot. J’ai senti sur mon lit d’agonie que vous ne vouliez pas que je mourusse, et j’ai secoué la torpeur finale… » Cette maladie, d’ailleurs, l’indigne ; elle avait, jusqu’ici, une santé solide et s’y habituait ; et puis, « cinq jours d’agonie » lui ont coûté mille francs : elle trouve cela trop cher. Elle avait pourtant deux médecins dévoués à son chevet « l’un d’eux était le docteur Vergue qu’elle appelle « mon adorable petit vieux docteur » et qui certes ne lui prenaient pas d’honoraires… Mais ses amis de Paris se sont émus de la savoir malade, et sont arrivés à Nohant, amenant avec eux un « grand médecin » en consultation. Celui-ci arrive le matin, lui tâte le pouls, déjeune, la trouve en bonne voie, et pour ainsi dire hors d’affaire, approuve les soins qu’on a donnés jusqu’ici à la malade, fait un somme, et s’en va en demandant 2 000 francs d’honoraires, son voyage payé. Étonnement général des amis de Nohant, et de « l’adorable petit docteur » Vergne qui tente de discuter, et de marchander cet Esculape ; — finalement Esculape se contentera de 1 000 francs, « rougissant de prendre si peu. » — George, racontant cette histoire à F. Buloz, lui déclare : « J’ai joué de malheur, sur trente médecins excellents, j’en connais au moins vingt-cinq qui ne m’auraient rien fait payer ! »

  1. Un des reproches que l’on a fait au premier volume de François Buloz et ses amis, c’est qu’il y était constamment question d’argent. Hélas ! alors les littérateurs n’étaient guère fortunés : ils réclamaient souvent, et F. Buloz payait le plus qu’il pouvait. Peut-être, néanmoins, ai-je abusé des chiffres et des précisions, je m’en excuse, c’est le défaut du chercheur qui veut reconstituer l’histoire du passé avec tous les moyens dont il dispose.