les assaillants qui durent se disperser, laissant dans la bagarre quatre morts et une quarantaine de blessés.
Le lendemain, sur les murailles, commençaient d’apparaître les énormes affiches imitées de la Russie, qui, sous le régime bolchéviste, allaient couvrir toute la ville d’une couleur sang de bœuf et d’un symbolisme outrancier. Les unes représentaient un formidable ouvrier rouge qui brandissait au-dessus de la couronne royale en morceaux un monstrueux merlin ; d’autres montraient un soldat étranglant dans ses mains l’aigle bicéphale des Habsbourg ; d’autres développaient en lettres de feu une véhémente ballade invitant l’armée à pactiser avec le peuple et qui disait au renvoi : « Ne tire pas, ô mon fils, car je suis là, dans la foule... »
La nuit, vers une heure du matin, quelqu’un, on re sait qui, mais vraisemblablement le journaliste Gondor, de son vrai nom Nathan Krauss, ancien apprenti fourreur en Amérique, d’un naturel violent et toujours l’injure à la bouche, jetait je ne sais où l’idée de s’emparer de la Place militaire. Bien qu’il plût à verse, des gens qui se trouvaient dans la rue se mirent en marche à la lueur des torches qui grésillaient sous la pluie. Devant le bâtiment, la garde de police leva la crosse en l’air. Accompagné de quelques inconnus, un danseur Juif, un escroc au surplus (il s’appelait Heltaï) se présentait en souliers de tennis, avec quelques soldats, chez le Commandant de la Place. Celui-ci, vieux général autrichien, presque seul dans la caserne, ne fit aucune résistance et céda son poste au danseur. Pendant ce temps, un autre Juif, nommé Jetvaï celui-là, s’emparait avec dix hommes du central téléphonique. A l’annonce de ces événements, le général Lucasics, qui commandait la garnison, téléphona au Grand Quartier, à Baden, près de Vienne, demandant à parler au Roi. Il était trois heures onze du matin. Un aide de camp lui répondit que Sa Majesté dormait. — « Qu’on la réveille ! » dit le Général. Le Roi se lève, arrive au téléphone, et Lukasics lui explique qu’il peut venir à bout de l’émeute, mais que cela n’ira pas sans verser un peu de sang, et qu’il demande des ordres. « Non, non ! dit vivement le Roi, je ne veux pas qu’on tire sur le peuple ! » Sans doute, en parlant ainsi, obéissait-il à ce même sentiment qui, quelques jours plus tôt (il s’agissait alors de savoir si l’on mettrait à la tête de la garnison de Vienne un général énergique), lui avait fait