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Le 22 octobre, on apprenait la capitulation des Bulgares. Le lendemain, en pleine séance du Parlement, arrivait la nouvelle que des troupes Croates mutinées venaient de s’emparer de Fiume, le grand port de la Hongrie sur la Mer Adriatique. Karolyi monte à la tribune et déclare que désormais la catastrophe est consommée, tandis que des journalistes juifs (qui devaient, quelques semaines plus tard, se révéler internationalistes ardents) menaient un furieux tapage et réclamaient au nom de la patrie violée la démission du ministère Weckerlé.

Un peu partout, des désordres éclataient dans la province. A Debreczen, où le Roi et la Reine étaient venus inaugurer la nouvelle Université, la population sifflait les régiments de la Garde autrichienne qui assuraient le service d’honneur, et conspuait l’hymne impérial que la musique avait eu la malencontreuse idée de jouer à la place de l’hymne royal. A Kachau, le régiment dont Guillaume II était le colonel, levait la crosse en l’air. A Budapest, le 32e d’infanterie, créé par Marie-Thérèse, se couchait dans la cour de la caserne, car c’est ainsi qu’à l’ordinaire les soldats en Hongrie manifestaient leur rébellion. Déjà, dans la capitale on voyait affluer des milliers de soldats hâves et déguenillés, déserteurs du front italien pour la plupart, qui jetaient leurs armes en criant : « Nous en avons assez de mourir pour c….. « d’Allemands qui font de nous leurs esclaves ! » Impuissante ou complice, la police ne réagissait pas. A l’hôtel Astoria, un des grands hôtels de la ville (dans cette révolution hongroise, comme dans la vie ordinaire de Budapest, l’hôtel et le café sont toujours au premier plan), Karolyi et ses amis constituaient un Conseil National, comme il s’en était formé à Prague, à Lemberg, à Agram, dans toutes les provinces de l’Empire qui, au nom des principes du Président Wilson, aspiraient à devenir des Etats particuliers. Ce Conseil d’une trentaine de membres avait élu pour président un prêtre, l’abbé Hock, sorte de Jérôme Coignard, avec lequel j’ai vidé autrefois de nombreux pots de bière et des verres de faux Tokay, en écoutant les Tziganes dans les brasseries de Budapest. D’une taille imposante, la figure longue, les traits hardiment dessinés, de magnifiques yeux couleur tabac d’Espagne, une bouche sensuelle, malheureusement abimée par de vilaines dents, cet amateur de taverne était l’éloquence en personne. Il y a quelque