Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’espoir d’en retarder l’éclosion, car aux premières feuilles, F. Buloz envoyait « ces dames » à la campagne, et s’étonnait qu’elles ne fussent pas, comme lui, passionnément intéressées par la coupe des foins, ou la plantation des arbres résineux qu’il avait entreprise avec M. de Quatrefages[1] sur la terrasse qui entourait sa maison.

Lorsque George Sand vint plus tard visiter Ronjoux, elle écrivit à Sainte-Beuve : « Ce Buloz s’est payé un Eden. Il a des cascades, des précipices, des arbres monstrueux, des prairies splendides, des rochers, et une villa très vaste, une très belle fille, et une femme que j’ai toujours beaucoup aimée[2]. »

Une villa ? F. Buloz n’aimait pas que l’on appelât ainsi sa maison ; il trouvait, — fort justement, — que ce nom ne lui convenait pas. Le mot « château » le mettait aussi fort en colère ; il disait : « C’est une maison alpestre. » Notez qu’il l’acheta en 1858 avant la guerre d’Italie, donc avant l’annexion de la Savoie à la France, et de cette acquisition il se félicitait à tous points de vue, surtout à celui de l’éloignement : « Dans un pays comme le nôtre, disait-il, sujet aux bouleversements politiques, quand on a femme et enfants, il est bon de leur trouver un refuge en cas de crise : Ronjoux, c’est un pied hors de France… » La Savoie fut annexée l’année suivante.

Beaucoup parmi les lettres de George Sand, pendant cette période, sont adressées à F. Buloz en Savoie, ou parlent de la Savoie « cet Eden, » et George, qui a toujours la passion des herbiers, s’informe souvent de la flore du pays :

« Avez-vous de belles fleurs en Savoie ? Probablement oui. — J’ai pensé à vous l’autre jour en découvrant ici une gentiane dépaysée dans nos landes, et dont la vraie patrie est la Savoie alpine[3]. »

Cette année 1859 est celle de la guerre d’Italie. F. Buloz, on le verra, désira l’unité italienne, la liberté et la grandeur de l’Italie ; il s’y employa même, obscurément, pourtant avec une activité passionnée. Il parle peu de tout ceci à George, d’abord parce qu’il parle peu, et ensuite parce que tous deux ne sont pas toujours du même avis. Au début, l’idée d’une telle croisade enthousiasma l’écrivain ; dans une petite brochure publiée

  1. Ami de F. Buloz, membre de l’Académie des Sciences.
  2. G. Sand. Lettres à Alfred de Musset à Sainte-Beuve, Calmann-Lévy.
  3. Nohant, 8 septembre 1860.