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deux sous sur le lutrin, prenant un petit cierge, l’allumant devant l’image qu’elles baisaient et faisaient baiser aux enfants. Les popes suivaient le manège d’un air nonchalant, rangeant les deux sous, tout en chantant les vieux chants grégoriens, distraitement, formalistement. Du geste au regard, tout indique qu’ils font là un métier matériel ; seulement, au lieu de faire des bottes et des culottes, ils tournent des pages, prononcent des sons et font des gestes convenus. Ces prêtres grecs semblent absolument ignorants, déprimés, végétatifs ; je n’ai rien entendu de désobligeant pour leur moralité ; il est vrai qu’ils sont mariés.


De la terrasse du couvent, une admirable vue sur le golfe ; le soleil se couchait, la bande de terre derrière laquelle il plonge, c’est Missolonghi ; ces eaux sont celles de Lépante ; Actium est à quelques milles au Nord. Deux fois le sort du monde s’est décidé là. — Actium ! et les vers magnifiques de Heredia me sonnent à l’oreille, étincelants comme le ciel, cette mer, ces noms.


Sur la terrasse du couvent, sous les platanes, les vingt officiers de la garnison de Patras faisaient la folle fête en pique-nique, et cette débauche, c’était tout simplement de chanter, après diner, des mélopées, chants de l’indépendance et refrains de brigands, et de danser gravement un pas lent rythmé en se tenant par l’épaule. Singulier peuple, singulières mœurs. Imaginez-vous ainsi une fête de sous-lieutenants et de cavalerie encore !


J’emporte, avant de partir, une note unanime, c’est qu’ils aiment la France, tous ; de tout contact avec eux cela ressort, sincèrement.


Voilà la sirène du Lloyd qui entre en rade, avec deux heures de retard que je bénis, puisqu’elles m’ont permis de fermer cette lettre. Quelle belle nuit pour s’embarquer !


LYAUTEY.