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de la catholicité romaine [1]. A l’encontre de ces velléités, le livre du Pape nous apparaît comme la consécration de la forme définitive qu’avait prise, en terre russe, l’aspiration de Maistre vers la réunion des Eglises ; c’est l’hommage à cette cime souveraine à laquelle les Eglises devaient s’unir, de plus en plus étroitement, en vue même de leur unité.

L’hommage était rendu « sous un point de vue nouveau : » les exigences de la primauté pontificale se révélaient conformes aux données universelles de l’expérience sociale et politique. Quelques années auparavant, Maistre avait écrit : « La nature Et l’essence du pouvoir sont les mêmes dans les deux sociétés [2]. » Halte-là ! auraient sans doute interrompu Suarez et Bellarmin, qui avaient au contraire établi la distinction de nature et d’essence des deux pouvoirs [3]. Maistre en continuant les eût rassurés : « Dans l’une comme dans l’autre (de ces deux sociétés), le pouvoir ne peut cesser d’être un sans cesser d’exister... Si telle ou telle Église particulière a le droit d’accuser d’erreur ou d’innovation le chef de l’Église, pourquoi le gouverneur de Twer ou d’Astrakan n’aurait-il pas aussi le droit d’accuser l’Empereur ? »

Dès lors que Maistre ne visait à rien de plus qu’à faire ressortir l’absurdité de l’idée de schisme en la transplantant par hypothèse dans le domaine politique, Suarez et Ballarmin eussent renoncé à le chicaner. Le livre du Pape, poursuivant le parallèle entre les deux sociétés, confrontait l’infaillibilité de la Souveraineté politique, « humainement supposée, » et l’infaillibilité du Souverain spirituel, « divinement promise. » [4] A Rome, un théologien anonyme s’étonna, s’inquiéta [5]. Maistre ne visait pas les théologiens romains, pour qui les promesses divines fondaient l’infaillibilité ; il écrivait pour les dissidents, et puis pour ces demi-dissidents qui s’appelaient les gallicans, et il leur disait : Puisque les actes de toute souveraineté, pour qu’elle demeure vraiment une souveraineté, doivent être réputés sans appel, c’est là, pratiquement, la réputer infaillible : il y a là un

  1. Pierling, op. cit., V, p. 449.
  2. Œuvres, VIII, p. 411.
  3. Féret, op. cit., p. 86, 96 et 97.
  4. Œuvres, II. p. 157.
  5. Amica collatio ou échange d’observations sur le livre français intitulé : Du Pape (manuscrit de Maistre publié dans les Études, 5 octobre 1897, p. 5-32, par le P. Dominique de Maistre).