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du Rédempteur, et qu’elle rentrait, dès lors, dans le plan divin ; mais il rejetait sur l’obstination, sur la mauvaise foi de l’Eglise de Rome, et sur la façon dont sans honte elle profanait les dons inamovibles de Dieu, la responsabilité du schisme. En face de cette Eglise coupable, Stourdza dressait l’Eglise russe, miraculeusement préservée de la persécution ottomane par la même Providence impénétrable. On devait conclure, en fermant le volume, que Dieu, dans l’histoire, s’était prononcé contre l’Église romaine, et que les projets d’union entre l’Eglise grecque et Rome étaient contraires au vouloir même de Dieu.

« Chef-d’œuvre d’ignorance, de mauvaise foi et même de mauvais ton, » pensait Maistre. Mais pour faire imprimer ce « chef-d’œuvre » où se déchainait une « colère de professeur irrité [1], » le Tsar, sur sa cassette, avait donné vingt mille roubles. Et Maistre, quittant la Russie en mai 1817, emportait avec lui, comme une déception cuisante, le souvenir de ces roubles dépensés par Alexandre, dépensés contre Rome.


X. — LE « POINT DE VUE NOUVEAU » DU LIVRE DU PAPE

Le contact de Maistre avec l’âme russe a laissé son empreinte dans le livre du Pape. Maistre y visait, surtout, la France de Louis XVIII [2] ; mais c’est en Russie que le livre fut conçu. Il plaisait à Maistre de le jeter, comme un cartel, à la face de Stourdza, et de donner ainsi le spectacle de « deux athlètes laïques, l’un ministre et l’autre chambellan, l’un Moldave et l’autre Allobroge, luttant à la face de l’Europe, en français [3]. » Pierre le Grand, autrefois, avait été invité, par les docteurs de Sorbonne, à une façon de réunion des Églises qui n’aurait pas tenu compte des prérogatives de Rome : Maistre savait cela, il savait même qu’en 1808 l’abbé Grégoire s’était mis à l’affût de cette histoire [4] ; ce même Grégoire faisait imprimer, en 1819, une lettre de Siestrzencewicz, où s’esquissait la possibilité d’un rapprochement entre l’Église russe et les fractions gallicanes

  1. Falloux, -Mme Swetchine, I. p. 199. — Œuvres, XIV, p. 82.
  2. La précieuse publication de la correspondance entre Maistre et Blacas par M. Ernest Daudet a montré comment il faut chercher dans cette correspondance la première ébauche du livre du Pape. Voir Germain Breton, Bulletin de littérature ecclésiastique, mars-avril 1920, p. 81-111.
  3. Œuvres, XIV, p. 58-59.
  4. Œuvres, XI, p. 44. Voir Pierling, La Russie et le Saint-Siège, IV, p. 250,