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réserves bien entendu. Du reste, ce malheureux pays me semble la proie des expérimentateurs. Tous ses travaux publics, chemins de fer, tramways, routes, sont livrés à des commissions d’ingénieurs européens de nationalités variées : il y a une commission française, des compagnies belges et allemandes, le cadastre est aux Autrichiens ; et à tous, le gouvernement donne des appointements fabuleux en or, 50 000 francs à des gens qui en gagneraient chez nous 6 000, et ils en valent ici 80 000 avec la prime de l’or. Or, la compétence, la conscience et l’honorabilité de ces compagnies n’apparaissent pas toujours incontestables. En ce qui concerne celle de chez nous, je n’ai entendu qu’hommages à sa probité, mais doublés d’un fort scepticisme sur sa capacité. Dans le métro souterrain d’Athènes, qui est son œuvre, qui est fini et qui a coûté fort cher, on n’a pas encore osé engager un wagon de peur de voir tout s’effondrer.

Et il en est ainsi de toutes choses. La politique Tricoupis depuis dix ans a été de faire grand, matériel militaire et maritime, travaux publics, en payant les étrangers au poids de l’or et en le jetant à pleines mains. Le résultat, c’est qu’il n’y a plus dans le pays un louis d’or, que le papier grec, seule monnaie en usagé, est déprécié des 2/3 et que pour 100 francs d’or on vous rend 155 francs de papier. Les malheureux salariés de l’État, qui reçoivent, il est vrai très régulièrement, leurs appointements, mais les reçoivent en papier, ne peuvent plus voyager ni acheter un objet de provenance européenne. Un officier me le disait l’autre jour : « Je voudrais bien aller à Paris : comment faire ? Mon traitement, mes revenus y perdent plus d’un tiers de leur valeur, et c’est encore à peine si je trouve à les changer. » Ces jours derniers, la crise était aiguë parce qu’il s’agissait de payer le 15 juin le coupon de la dette publique et qu’il n’y avait plus un sou de métal dans les caisses. Acculés à la banqueroute, ils ont, il y a trois jours, signé une convention avec une maison anglaise, qui assure le paiement immédiat, moyennant le droit de perception des principaux impôts, tabac, raisins, etc.. J’entends les uns se réjouir et voir là le salut, les autres se lamenter et juger la convention désastreuse. Il est bien entendu que je ne suis ici qu’un reporter d’interview et que je ne conclus pas.

Mais ce que je me permets d’attester après ces dix jours, sans crainte de beaucoup me tromper, c’est que ce peuple a de très grandes qualités. Il est sobre et ignore la débauche : ceux